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qui ont le mieux parlé d’espérance chrétienne, et celui qui, prophétiquement, a écrit ces vers :


Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre »
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu...

Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles...

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.


23 décembre.

Musique et décorations, nos préparatifs de Noël marchent moins mal que je ne l’aurais cru. Je ne puis m’empêcher, toutefois, de les interrompre un instant pour noter une entrée trop originale : celle d’un zouave d’Alger et de son chien « Fend-l’Air, » qui s’appela un moment « Tue-Boches, » Leur histoire a été racontée dans les journaux avec addition de quelques détails peu exacts. Elle est assez jolie pour se suffire à elle-même. Je vais la donner telle que je l’ai apprise du zouave ce matin. Si elle présente des lacunes, c’est que je n’ai pas voulu le laisser parler trop. Il est encore bien faible.

C’est le 12 décembre qu’il fut blessé, à Rocquelincourt, près d’Arras, dans une tranchée, ou plus exactement dans un boyau, de première ligne. Les boyaux sont les couloirs qui relient les tranchées entre elles. Une bombe éclata près de lui, tua ses voisins et le couvrit de terre, le déplacement d’air ayant fait crouler les madriers qui soutenaient la paroi. Grièvement blessé, aux trois quarts enfoui, sans autre voisinage que celui des camarades morts, il se sentait aller au découragement, lorsque son chien, qui ne l’avait pas quitté de toute la guerre, arriva près de lui, s’empressa comme il put, se répandit en gémissemens pleins de tendresse : « Il n’est pas vrai qu’il m’ait déterré, mais il me remonta le moral. Je commençai à me dégager les bras, la tête, le reste du corps ; ce que voyant, lui-même