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de la réalité. Le conférencier d’hier a, pour une grande part, comblé ces deux lacunes.

Si, à cause de certains secrets difficiles à pénétrer ou à révéler, il n’a pu donner un récit complet ni tout à fait tenir le langage de l’histoire, du moins, sa géographie n’a-t-elle rien laissé à regretter et nous a-t-il montré les tableaux les plus véridiques du théâtre des combats ; ou plutôt, avec la puissance que revêt la photographie en couleur sous les mains d’un habile artiste, c’est ce théâtre même qu’il a fait passer sous nos yeux. Et nous avons vu en réalité les plaines où l’on s’est battu, les collines que l’on a enlevées, les tranchées d’où tirait l’ennemi, les trous des obus, les villages incendiés, les clochers abattus, les tombes surtout, les tombes innombrables où dorment nos soldats, juste à la place de leur trépas glorieux.

Sous leur tertre de fleurs pieusement entretenues et que domine la croix avec le drapeau de la France, elles ne constituent pas seulement le plus poétique et le plus émouvant des vestiges de la lutte, elles en sont aussi le plus instructif : dispersées et étroites, où elle fut moins intense ; larges et rapprochées, où elle sévit avec le plus de rage. Si vous voulez savoir jusqu’où s’avança la menace allemande, à quels endroits précis la France, d’un geste héroïque, se redressa contre l’envahisseur et lui cria : « On ne passe plus ! » cherchez-les un par un, les monticules sacrés, et contemplez leur ligne dernière en ses sinuosités. Vous la verrez, à sa pointe extrême, entre Meaux et Dammartin, s’approcher à un jour et demi de la capitale. Là combattait, le 5 septembre, une division de l’armée de Paris. A 5 heures du soir, sous une grêle de balles, une compagnie lancée à l’assaut approche de la crête où les Allemands se tiennent retranchés. Le capitaine est déjà tué, avec un des deux lieutenans ; l’autre ordonne : « Couchez-vous et feu à volonté ! » Mais lui, malgré les objurgations, reste debout, défiant la mitraille. Une balle l’atteint en plein front. Tous ses hommes succombent après lui ; il n’en survit qu’un, blessé, pour servir de témoin. On a creusé leur tombe sur l’emplacement où ils moururent. A cet autel, où la patrie commença de voir son sacrifice agréé du ciel, il fallait des victimes de choix : le lieutenant qui commandait cette poignée de braves avait nom Charles Péguy : Péguy, le héraut de Jeanne d’Arc, l’un des poètes