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maître exigeant, mais unique et sans caprices qu’est l’État civil, — le plus raisonnable, le plus régulier, le plus équitable des maîtres, sinon le plus accommodant, ni le moins coûteux. La res publica supprimait quelque liberté, mais assurait l’égalité dans l’exercice des droits. Il était donc des heures, — c’étaient les plus nombreuses, — il était surtout des conditions, — c’étaient les privilégiées, — où le plein exercice de sa liberté pouvait sembler au loup germanique le premier des besoins et des bonheurs. Mais il était des heures aussi où la grande majorité eût préféré la paix égalitaire et l’assurance d’une liberté restreinte aux risques quotidiens de ruine, de captivité et d’esclavage, que faisaient peser sur la forêt tout entière les guerres civiles et extérieures, conséquences des trop complètes libertés.

« Trop souvent, dit M. de Bülow, l’union nationale nous fut imposée par le malheur. » Presque toujours, en effet, c’est pour échapper aux douloureuses conséquences de l’anarchie ou de l’invasion que les peuples allemands se sont mis en quête d’une souveraineté nationale, qui les sauvât d’eux-mêmes et du voisin. Le dernier bâtisseur d’empire allemand, Bismarck, est né sous le joug napoléonien. C’est l’attaque des légions romaines qui fit sortir de la forêt les deux premiers Bismarck, Arminius et Marbod. Marbod surtout fut le premier exemplaire du « libérateur » germanique, essayant de copier la res publica latine pour donner aux Germains une cohésion nationale contre l’étranger.

Marbod le Souabe, — on disait alors le Suève, — essayait, dès les premières années de l’ère chrétienne, de policer la Germanie, en lui inculquant ces habitudes urbaines et ces mœurs politiques qu’il avait appris à admirer durant sa fréquentation de Rome et des Romains. Sur les bords de la Moldau, en forêt, Marbod avait bâti, pour sa royauté et pour son peuple, la première capitale allemande autour d’un palais en planches, derrière un rempart de terre, de pierres et de troncs. Quand il eut recruté une garde soldée et une armée permanente et quand, en de perpétuels exercices, il les eut exercées et disciplinées à la mode romaine, perpetuis exercitiis exercitu paene ad Romanae disciplinae formam redacto, ce Barbare de naissance, mais non de connaissances, natione magis quam ratione barbarus, ne voulut plus se contenter d’un principat anarchique, accidentel, éphé-