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avec celles des peuples plus heureusement doués en matière politique, les manifestations allemandes d’union nationale sont plus occasionnelles que durables. Nous sommes entrés dans l’histoire comme un peuple divisé en peuplades se disputant entre elles. L’Empire du Moyen Age n’a pas été fondé par la libre union des peuplades, mais par la victoire de l’une d’elles, et les autres ne reconnurent qu’à contre-cœur la domination de la plus forte. De nos jours, l’union dans le nouvel Empire fut aussi obtenue, non par un accord pacifique, mais par des batailles entre Allemands. De même que l’ancien Empire avait été fondé par une peuplade supérieure en force, de même le nouveau fut créé par le plus fort des États, la Prusse… Dans une forme moderne, mais sur l’ancien mode, le peuple allemand a achevé encore une fois l’œuvre qu’il avait jadis accomplie, puis détruite par sa propre faute. Il nous a fallu un millier d’années pour créer, détruire et recréer ce qui, pour d’autres peuples, était déjà, depuis des siècles, le fondement de leur évolution : une vie nationale. »

On ne saurait résumer plus exactement, en formules plus brèves et plus philosophiques, toute la vie intérieure des Allemagnes depuis le jour où Charlemagne les mit en contact intime avec la res publica romaine jusqu’au jour où Bismarck essaya d’établir, sous l’empire du Hohenzollern, une nouvelle forme de res publica germanique. « Dans une forme moderne, mais sur l’ancien mode, » Bismarck et le Hohenzollern ne firent que tenter à nouveau ce que, durant onze siècles, d’autres chefs de peuplades allemandes avaient essayé et ce que le monde avait vu crouler aussitôt que la force, créatrice violente de cette œuvre, n’avait plus été de taille à l’imposer aux peuples germaniques et au monde. Le sol des Allemagnes a d’étranges pouvoirs de résistance et de révolte : à la même époque, avec la même puissance, par les mêmes moyens, un souverain n’arrive pas à dresser là-bas l’édifice politique dont il assure ailleurs l’achèvement et la durée ; mieux encore, il n’arrive à faire produire à cette terre que le contraire des institutions qu’il en avait souhaitées. Disciple des légistes de Bologne, admirateur et fauteur de droit romain, Frédéric II de Hohenstaufen achève au delà des Alpes cette royauté absolue des Deux-Siciles qui, durant six siècles après lui, pourra changer de dynasties, mais non pas de constitution : en Allemagne, c’est sa même