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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

compare, non pas seulement aux grandes nations, aux peuples supérieurs de l’Angleterre et de l’Amérique, mais aux Continentaux les moins enviables, « Tchèques, Slovènes, Magyars, Polonais, Français, Italiens même, » comme dit M. de Bülow, en une énumération dédaigneuse ?

« Le sens politique, répond M. de Bülow, est le sens des généralités. Les peuples bien doués, agissant tantôt et plutôt par instinct, au bon moment et sous la pression d’une situation critique, placent les intérêts de la nation avant les tendances et les desiderata des particuliers. Or, il est dans le tempérament allemand d’exercer son énergie surtout dans le particulier, de placer l’intérêt général après l’intérêt plus restreint et plus directement saisissable, de le lui subordonner même. C’est là ce que vise Gœthe dans sa cruelle phrase, souvent citée, que l’Allemand est capable dans le détail et piteux dans l’ensemble. »

L’intérêt local, l’intérêt privé, l’intérêt individuel prenant le pas devant l’intérêt commun, public, général : ce phénomène, qui, dans les États nationaux, dénote une crise ou une décadence, est et a toujours été la règle dans les communautés allemandes. Rome ne voulait tenir compte des individus que dans la mesure où ils servaient l’État. L’Allemagne ne tolère l’État que dans la mesure où il sert les individus. Rome interdisait toute coalition des particuliers contre le peuple souverain : la « conjuration » des citoyens était à ses yeux le premier des crimes de lèse-majesté ; elle cloua au pilori de l’histoire et abattit comme un fauve ce conjuré de Catilina ; elle persécuta et jeta aux bêtes ces coalisés de chrétiens. Le serment d’homme à homme, la coalition assermentée, la conjuration d’intérêts ou d’ambitions fut le seul lien de la société germanique au Moyen Age et reste encore la plus chère habitude de l’Allemagne actuelle.

L’Allemand se ligue pour satisfaire ses goûts et ses besoins, servir ses préférences ou ses idées. Il éprouve même le besoin d’être toujours ligué dans le plus grand nombre possible d’associations, de Vereine. C’est la race du Verein et même du Verein pour le Verein, comme d’autres sont les races du speech pour le speech ou de l’art pour l’art. Mais toute association allemande, dit M. de Bùlow, est plus ou moins séparatiste ; tout Verein dirige son activité instinctive ou consciente contre la souveraineté et les intérêts du public : « Même quand une association poursuit un but élevé de nature économique ou politique, ses membres et,