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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

même rang que l’héroïsme des Athéniens et des Spartiates. Tout comme les Belges d’aujourd’hui, les libres citoyens de la Grèce d’alors ne faisaient que repousser « l’extension d’un régime » qui croyait représenter le dernier mot de la science, de l’organisation, de la Kultur. L’Asie savante et philosophante de Memphis, de Sidon, de Ninive et de Babylone, l’Asie théocratique, enrégimentée dans les innombrables bataillons du Persan, était, en face de la Grèce artiste et politique, — civile, — le plus formidable arsenal de peuples et de ressources militaires. Alors comme aujourd’hui, la Science barbare rencontrait, sur un champ de massacre, les défenseurs de la Cité : la Science, indispensable moyen de vivre, souverain instrument de combat dans toutes les luttes pour la vie, source inépuisable de forces et de richesses ; la Cité, mère de la justice et de la loi, des arts et du bonheur, de la morale et des « humanités, » comme dirent nos aïeux de la Renaissance, le jour où, sortant du Moyen Age germanique, ils retrouvèrent dans les livres le souvenir et le contact de la Cité grecque.

Entre Européens et Germains d’aujourd’hui, c’est la même rencontre qu’entre Hellènes et Asiatiques du ve siècle avant notre ère. Pour les hommes du xxve ou du xxxe siècle futur, l’histoire se partagera sans doute en quatre grandes périodes : Temps primitifs jusqu’à Marathon ; Temps anciens, de Léonidas à l’invasion des Barbares ; Temps modernes, des Barbares à Albert Ier ; Temps nouveaux depuis la fuite du Roi des Rois germaniques. Nous sommes à l’un de ces carrefours de l’histoire où se rencontrent et se coupent les routes venues du plus lointain passé.

C’est que tous les peuples consciens de l’Europe nous arrivent de la Cité grecque par l’intermédiaire de la res publica romaine, devenue la double res publica chrétienne d’Occident et d’Orient. Tous ont partagé les vicissitudes ou reçu les leçons de ce double Empire romain, que l’invasion du christianisme dissocia en Cité de César et Cité de Dieu et que l’invasion des Barbares disloqua en nos États nationaux. Tous ont la même conception gréco-romaine du droit et de la loi pour avoir longuement vécu sous l’obéissance ou l’obédience romaines, soit dans les anciennes provinces de la Rome occidentale, soit dans les terres ou l’Église de la Rome byzantine. Tous ont hérité de Rome la même notion et comme le même sens, et le