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Staatsrecht germanique, et quelles furieuses batailles on s’est livrées sur lui depuis des siècles, — on s’en livrait déjà au xiiie siècle, au temps des Hohenstaufen, — entre « latinisans » et « germanisans », entre importateurs du droit romain et défenseurs du vieux droit germanique. Sans avoir fait la moindre allusion à ces querelles d’érudits, M. de Bülow sera rangé quelque jour parmi les « latinisans : » M. J. Huret[1] nous avait déjà dit l’estime où le chancelier tenait la « netteté latine » et les plus romains de nos législateurs.

Au cours de ses études universitaires et de ses loisirs diplomatiques autrefois, aux jours de sa puissance après, pour vérifier sa propre expérience enfin, M. de Bülow a connu et pratiqué les traités allemands qui racontent les origines de l’Allemagne, les conditions et les vicissitudes du pouvoir impérial à travers les siècles : une phrase de Treitschke sert d’épigraphe à tout son ouvrage, et dans cette Histoire de l’Allemagne, il trouve non seulement « un sens historique profond, mais aussi une signification politique très moderne. » Néanmoins, de César et Tacite à James Bryce et Fustel de Coulanges, il semble avoir médité surtout les ouvrages des étrangers. Soit dans le texte anglais, soit dans la traduction française, il a dû lire et relire le Saint Empire romain germanique et l’Empire actuel d’Allemagne de James Bryce, et je ne doute pas qu’il estime à sa juste valeur l’Histoire des Institutions de notre grand Fustel de Coulanges. Je crois même qu’ayant à expliquer à des lecteurs français telle formule concise et taillée à facettes, dans laquelle M. de Bülow a résumé la suite de plusieurs siècles ou les interminables déductions des théoriciens, on ne saurait mieux faire que mettre en regard telle page ou tel chapitre de Fustel : après les injures que lui prodiguèrent les « germanisans » de France et d’Allemagne, le chef de nos « latinisans » eût goûté quelque plaisir à retrouver, sous la plume du chancelier de Guillaume II, du seul chancelier qu’ait eu le nouvel Empire après Bismarck, des phrases qui ne sont que des comprimés de sa propre doctrine.

  1. De Hambourg aux Marches de Pologne, p. 483 : « Bismarck, disait M. de Bülow à M. Huret en 1906, Bismarck a toujours dit qu’il est bien plus facile de gouverner les Français libéraux et frondeurs que les Allemands traditionalistes et individualistes. Napoléon, à côté de beaucoup de mal, a fait du bien dans notre pays, en simplifiant avec sa netteté latine l’organisation compliquée qu’il y avait trouvée. »