Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On doit reconnaître que l’allié autrichien ne lui facilite guère son rôle. Sans doute, le ministre impérial des Affaires étrangères, responsable de la politique extérieure de la double monarchie, demeure sincèrement désireux de conserver de bonnes relations avec la nation voisine ; mais il est impuissant à imposer ses vues aux fonctionnaires locaux du Trentin ou de l’Istrie, presque tous hostiles à l’élément italien. À Vienne même, beaucoup parmi ceux qui rêvaient de grande politique dans l’entourage de l’archiduc héritier, croyaient faire la cour aux Slaves du Sud en brimant les Italiens. Les catholiques, le parti chrétien-social regardaient sans bienveillance vers le Quirinal. Dans les milieux de la Cour comme dans l’armée, on avait l’habitude de parler de l’Italie avec une hauteur méprisante, d’envisager comme possible, comme désirable, comme nécessairement victorieuse, une campagne contre les anciens vaincus de 1849 et de 1866. Un député italien, M. Barzilaï, a produit à la tribune de la Chambre une brochure distribuée aux officiers de la nation alliée « pour qu’ils puissent se faire comprendre en Italie » et où l’on trouve des phrases comme celle-ci : « Halte-là, où sont les Italiens ? Dis la vérité ou tu seras fusillé. » L’amiral Montecuculli, commandant des flottes autrichiennes, ne manquait jamais une occasion d’évoquer dans de belliqueuses harangues le souvenir de la bataille de Lissa où les vieux navires de l’amiral Tegethoff réussirent à anéantir la flotte cuirassée de l’amiral Persano. L’attitude du généralissime des armées autrichiennes, Conrad von Hœtzendorf, qui préparait ouvertement une campagne contre l’Italie avec le consentement de l’archiduc François-Ferdinand, était si peu conciliable avec l’alliance que le comte d’Ærenthal dut faire momentanément disgracier cet officier.

Car les gouvernans responsables continuent à craindre une rupture. Après avoir visité la frontière qui les sépare et qui se hérisse chaque jour de nouveaux canons[1], les chefs d’état-major, les généraux Saletta et von Beck, ne manquent pas de s’adresser des télégrammes de bienvenue et des vœux. Le général Caneva, qui vient de commander en chef l’armée de Libye, se rend à Vienne, où après l’échange habituel de congratulations

  1. Sur la couverture d’un journal satirique, deux officiers autrichiens causent : » Est-il vrai qu’on construise encore de nouvelles fortifications dans le Sud-Tyrol ? » demande l’un, et l’autre répond : — « Mais oui, c’est pour fortifier la Triplice ! »