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Gneisenau dans l’une des lettres ; et dans la seconde il parlait de l’obligation, pour la Prusse, de « se venger à Paris de tant de souffrances et d’humiliations ! » C’est au point que peut-être même, malgré toute sa haine, aurait-il presque consenti à se désintéresser du sort individuel de Napoléon, pourvu que la défaite de celui-ci et l’invasion de sa capitale eussent eu de quoi offrir à la Prusse les divers avantages qu’il en attendait.

Le « butin, » tel est maintenant le mot qui revient dans tous ses écrits ; et l’on entend bien qu’il désigne par là non seulement notre argent et le contenu de nos caves françaises, mais aussi de gros morceaux de notre territoire. L’Alsace et la Belgique, notamment, sont deux régions qu’il se vante d’avoir marquées depuis des années comme devant former le « butin » de la Prusse. Tantôt il travaille à les faire annexer l’une et l’autre à sa « patrie d’adoption, » et tantôt il s’efforce du moins d’en faire annexer une, — de préférence l’Alsace, — sauf à devoir nous sacrifier l’autre. Il y a des jours où, dans son découragement, il se contenterait pour la Prusse de l’acquisition de Liège, « précieuse en raison de ses mines et de ses fabriques d’armes. » Mais toujours ses lettres et mémoires ont pour unique objet de prouver à son Roi, aux ministres prussiens, à tous les personnages plus ou moins influens, la folie criminelle qu’il y aurait à s’éloigner de Paris sans nous avoir enlevé un « butin » digne de la victoire présente de la Prusse et de la future grandeur qu’il a rêvée pour elle.

Et comme, de jour en jour, il constate l’écroulement de tous ses beaux projets, il faut voir avec quelle passion il épanche sa haine contre tous ceux qu’il accuse de cet « abandon » de la cause prussienne. Tour à tour il s’en prend aux divers souverains ou ministres alliés, sans compter le groupe détesté des petits princes allemands. Tel d’entre eux lui paraît trop « mou, » tel autre est bien près de lui sembler suspect. Mais plus abondamment encore se déploiera sa rancune quasi universelle lorsque, l’année suivante, après Waterloo, il croira de nouveau sentir autour de soi l’opposition d’une foule d’ « incapables » ou de « vendus » de toutes provenances ; et le plus curieux est que, dès lors, tous ses écrits nous le montreront concentrant déjà les jets les plus venimeux de son fiel sur les reppésentans principaux des deux races qui, aujourd’hui, ont l’honneur d’être le plus fortement exposées à la bruyante et féroce inimitié de ses compatriotes, — l’Angleterre et la Russie.

À l’adresse du tsar Alexandre, Gneisenau entretient d’ailleurs, en tout temps, un sentiment de défiance nuancée de mépris. « Nul