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Il n’a cessé de les évoquer dans leurs moindres détails. Le don visuel est si fort chez lui qu’à quarante ans de distance, il peut faire un croquis des choses les plus insignifiantes ; c’est ainsi qu’il décrit minutieusement la disposition des lieux où il tua ses trois premiers tourdres. « Je tuai le troisième et dernier sur un petit noyer bordant le chemin au nord de notre petit verger. Ce tourdre, fort petit, était presque verticalement sur moi et me tomba presque sur le nez. Il tomba sur le mur à pierres sèches, et avec lui de grosses gouttes de sang que je vois encore. »

On comprend la douleur qu’il eut à se défaire de Furonières. Son ami Colomb nous raconte qu’en 1824, Beyle n’y tint plus et vint rôder autour du domaine ; il acheta timidement à des vendangeurs quelques grappes, voulant goûter le plaisir, — que Colomb appelle délicieux et qui dut être plutôt amer, — de savourer des raisins qui ne lui appartenaient plus. Lui-même fait allusion à une visite semblable qu’il fit quatre ans plus tard, en 1828.


Stendhal n’oublia jamais Claix, ni le Dauphiné qui, à son avis, est le plus beau pays de France et presque d’Europe. « Je n’ai rien trouvé de pareil en Angleterre, ni en Allemagne... Je ne vois de plus beaux paysages qu’en Lombardie, vers les lacs... Mais comment décrire ces choses-là ? Il faudrait dix pages, prendre le ton épique et emphatique que j’ai en horreur... Si l’on cédait à la tentation de parler du beau en ce pays, on ferait des volumes. » Sainte-Beuve avait déjà remarqué la place prépondérante qu’il donna toujours au Dauphiné. « Beyle, dit-il, n’est pas ingrat pour sa belle province. » Ce qui a parfois induit en erreur à ce sujet, c’est la haine pour Grenoble qu’il exprima si fréquemment et si violemment ; mais aujourd’hui que la publication de ses œuvres inédites nous a fait pénétrer dans sa complète intimité, on ne peut plus douter que cette haine vise seulement les Grenoblois et le milieu bourgeois où vivaient ses parens. « Ville que j’abhorrais et que je hais encore, dit-il, car c’est là que j’ai appris à connaître les hommes. »

Longtemps, trop longtemps, les Grenoblois lui ont gardé rancune de ces propos. A la fin de sa parfaite édition de la Vie de Henri Brulard, M. Débraye me semble exagérer quelque peu en déclarant que Grenoble n’en veut plus à Stendhal et « lui a