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faire sécher et les rentrer. Et tout ce remuement répand de véritables flots d’odeurs qui alourdissent l’air et grisent comme le moût des cuves...

Un peu avant Claix, sous d’abondans ombrages, se dissimule le petit hameau de Furonières qui compte, à côté de quelques maisons de paysans, trois ou quatre jolies propriétés, dont l’une fut celle de Beyle. L’aspect extérieur des bâtimens, le jardin, l’allée des tilleuls, le verger sont presque pareils après un siècle. Pareilles aussi la ferme et les fameuses bergeries de pierre, avec voûtes d’arête, qui coûtèrent si cher au père de Stendhal. Ses héritiers durent vendre le domaine, pour une centaine de mille francs, au général Durand, des mains duquel il passa aux Bougault, qui le possèdent encore aujourd’hui.

La maison est un vaste quadrilatère, dont le rez-de-chaussée s’ouvre de plain-pied, suivant une mode fréquente à la fin du XVIIIe siècle. Elle n’a que deux étages, et il semble même que l’état des finances du père Beyle l’ait empêché de donner au second l’importance qu’il devait avoir. Sur la façade, régulière et très simple, se détache seulement une bizarre horloge avec sonneries, que l’acquéreur de l’immeuble dut d’ailleurs payer au fabricant.

La baronne Bougault voulut bien, levant la consigne rendue nécessaire par la gloire grandissante de Stendhal, me faire visiter la maison. La chambre du jeune Beyle est située à l’un des coins de l’étage supérieur ; une vive lumière l’inonde, entrant par trois fenêtres d’où l’on embrasse toute la plaine de Claix et les lointains horizons de montagnes. Le petit lit en bois blanc laqué, les sièges, un meuble d’angle formant placard sont dans l’étal même où ils servirent à Stendhal. Dans une pièce du premier étage, on voit encore le bureau de Beyle ; c’est un meuble sans ornement, mais de lignes sobres et pures, ayant toujours, collée au fond d’un tiroir, la marque de Hache fils, l’ébéniste grenoblois qui jouissait alors d’une grande réputation. Enfin, dans un petit salon du rez-de-chaussée, est la bibliothèque « en bois de cerisier et glaces » où Beyle lisait en cachette les volumes de Voltaire reliés « en veau imitant le marbre. » C’est là aussi qu’il trouva un Don Quichotte avec estampes. « La découverte de ce livre, lu sous le second tilleul de l’allée du côté du parterre... est peut-être la plus grande époque de ma vie. »

Sous l’ombre odorante des tilleuls, — pour qui cent ans ne