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des naissantes amours du jeune Beyle qui accordait son tumulte intérieur aux murmures des torrens et du vent dans les grands arbres balancés. Elles furent, comme il le déclare lui-même, « témoins des mouvemens passionnés de son cœur, pendant les seize premières années de sa vie. »


J’ai fait bien souvent à pied la dizaine de kilomètres qui séparent Grenoble de Claix, trajet que Stendhal déclare avoir suivi « mille fois peut-être. » J’ai pris l’un et l’autre des deux itinéraires qu’il indique dans la Vie de Henri Brulard, ayant relevé, sur le manuscrit de la bibliothèque, les deux croquis qu’il a tracés. Et, somme toute, dès qu’on est sorti des faubourgs de Grenoble, chemins et paysages n’ont guère changé. Après la porte de Bonne, aujourd’hui démolie, par où Napoléon entra en 1815, deux routes s’offraient à Beyle. Il pouvait d’abord suivre le cours de Saint-André, dont la quadruple rangée d’arbres, déjà plus que centenaires, reliait Grenoble au célèbre pont de Claix qu’avait bâti le connétable de Lesdiguières. Stendhal a vanté souvent cette magnifique avenue de huit mille mètres. « Cette idée à la Lenôtre, déclare-t-il, placée au milieu de montagnes sauvages, est d’un effet admirable. » Ou bien, se dirigeant directement vers le Drac — que l’on passait alors sur un bac remplacé par l’actuel pont suspendu, — il gagnait Seyssins, montait à travers champs au petit col qui sépare le rocher de Comboire des flancs du Moucherotte et redescendait sur Claix.

O volupté des matins d’été au milieu des prairies de montagnes ! Les hautes herbes, où l’on entre jusqu’au genou, sont de véritables bouquets, tant y sont abondantes et variées ces innombrables fleurs des champs dont je n’ai jamais su les noms. Chaque pas soulève des vagues de senteurs à la fois vives et délicates, délicieuses dans le vent frais. Mais la vraie fête des parfums commence avec la fenaison. On ne peut se douter de l’intensité qu’atteint l’arôme du foin coupé, si on ne l’a pas respiré dans ces prés où il y a moins d’herbes que de fleurs. Dès que s’annonce une semaine de beau temps, en toute hâte une armée de faucheurs se répand dans la campagne et rase le sol. Si la pluie menace, vite on remet les foins en tas ; dès que le soleil reluit, vite on les étale de nouveau pour les