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qu’ébranlaient jadis les courriers de Lyon et de Paris. Presque intacte également est la maison où le docteur Gagnon, le grand-père de Stendhal, installa « le plus beau logement de la ville. » Par le vieil escalier, magnifique pour le temps, je suis monté à l’appartement dont il y a, dans la Vie de Henri Brulard, tant de minutieuses descriptions, accompagnées de plans et de croquis, qu’il fut possible d’en faire l’exacte reconstitution. Les étudians de l’Institut électrotechnique y ont aujourd’hui leur cercle, et ce milieu de jeunesse studieuse ne déplairait point à l’ancien lauréat de mathématiques. J’ai retrouvé sans peine le « salon à l’italienne, » qu’orna, pendant les journées révolutionnaires, l’autel où le jeune Henri servait la messe dite par un prêtre insermenté, la pièce qui servait à loger les collections minéralogiques du docteur, et le cabinet, orné d’un buste de Voltaire, au fond duquel était la bibliothèque où Stendhal connut la joie des lectures défendues.

Mais le plus vivant souvenir qui nous reste de Beyle, à Grenoble, est l’étroite terrasse dont il parle si souvent et où il vécut les meilleurs momens de son enfance et de sa jeunesse. Faisant suite à l’appartement, elle est bâtie sur un mur qui porte encore, paraît-il, le nom de mur sarrasin et qui est, en réalité, un fragment des remparts romains. Son grand-père dépensa de grosses sommes à son aménagement. Dans de profondes caisses en maçonnerie, remplies de terre, il planta des arbustes et des ceps de vigne dont les feuillages devaient former une voûte de verdure. Les vignes ont résisté et leurs branchages, entrelacés à des arcades et à des treillis de bois, font, en effet, un coin charmant, qui l’était plus encore, quand les arbres du Jardin-de-Ville, moins hauts, laissaient les regards se perdre sur les plateaux du Vercors. Par-dessus le petit jardin des Périer-Lagrange, situé en contre-bas de la terrasse, on apercevait les cimes du Villard-de-Lans, où l’imagination de Stendhal rêvait « d’un pré au milieu de hautes montagnes, » la masse arrondie du Moucherotte, les falaises calcaires de Sassenage et la ligne de rochers qui, vue de Grenoble, dessine un vague profil du masque de Napoléon. Que de fois Stendhal parle de ce panorama ! C’est sur cette terrasse que son grand-père lui donnait ses premières leçons de choses et citait, tout en arrosant ses fleurs, Pline et Linné. Quand il était seul, il y dévorait en cachette les romans volés dans la bibliothèque. Le