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Auguste Laugel gardait dans son cottage de Richmond l’autonomie de son foyer, l’indépendance de ses mouvemens, et continuait le cours de ses travaux dans la Revue comme dans de grands journaux étrangers dont il était le correspondant. Son influence y fut notable aux heures de l’Union libérale où il créait le Temps avec ses amis d’Alsace : Nefftzer, Schérer, Dolfus, quelques autres, parmi lesquels Eugène Forcade et le très jeune Adrien Hébrard. Il donnait ainsi aux républicains, maintenant alliés des libéraux à préférences monarchiques, un organe qui devenait pour eux ce que les Débats étaient alors pour ceux-ci : un journal autorisé, considéré, derrière lequel se grouperait toute l’élite à préférences républicaines. Il fondait aussi, dans ce même dessein et en ces mêmes années, l’Étoile Belge, à Bruxelles, et on y lisait ses Lettres de Verax, virulentes satires du second Empire, longtemps attribuées au Duc d’Aumale, malgré ses démentis répétés.

Ce pacte de l’Union libérale répondait singulièrement à l’état d’esprit orléaniste, car l’Orléanisme n’était pas un parti organisé et délimité, mais un carrefour où se rencontraient les tendances des groupes sociaux et politiques les plus variés : aristocratie, haute et moyenne bourgeoisie, intellectuels, droite républicaine, gauche monarchiste et religieuse, voire quelques serviteurs de l’Empire. Cet état d’esprit subordonnait toute arrière-pensée au fait libéral.

Quel serait l’avenir : républicain ou monarchique ? Auguste Laugel appréciait trop les sentimens intimes des princes pour ne pas les croire à la hauteur de la mission dont on les pressentait capables, et ne pas espérer les en voir définitivement investis par l’alliance qui se constituait, s’il lui advenait de triompher. Léon Gambetta lui-même ne lui avait-il pas dit : « Nous pourrions vivre avec la dynastie d’Orléans ? » Puis l’allié vainqueur ne ferait-il pas l’accueil le plus empressé aux tenans de l’autre solution, dont le ralliement serait assuré d’avoir une large part à la conduite des affaires ? Le rêve était permis : l’heure des réalités s’annonçait lointaine.

Le Journal de Laugel racontera un jour les premiers heurts entre coalisés et avec quelle rapidité les événemens mirent à l’épreuve l’associé qui, arrivé au pouvoir le lendemain de son vote au Corps législatif contre les lois d’exil, demandait aux princes, descendus à Paris le 6 septembre chez leur ami, de