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pas moins suspendu à l’inconnu. L’hérédité conserve les formes organiques, elle ne les crée pas, la sélection naturelle ne façonne pas les matériaux de la vie, elle exclut les uns et perpétue les autres.

La physiologie qui prend la vie à ses sources mêmes, la chimie qui pénètre dans ce que la matière a de plus profond et de plus spécifique en sa substance organisée comme en sa substance inerte, complètent l’œuvre de Darwin. Toutefois la chimie organique n’étudie et ne compose que les élémens de la vie sans s’occuper de l’être vivant lui-même. Elle ne fait ni une fleur, ni un fruit, ni un muscle ; elle fabrique uniquement les principes chimiques que nous pouvons en extraire. Or l’homme, auquel la science nous ramène toujours parce qu’il est le point culminant de ses recherches, n’est pas seulement un poids, une réunion d’atomes chimiques, l’assemblage le plus délicat d’instrumens physiques, il est encore une force personnelle. Et ici, la métaphysique établira les rapports de la substance corporelle avec la substance cachée qui en règle le mouvement. Qui a raison des matérialistes qui identifient la matière à l’esprit, des vitalistes qui interposent la vie comme un lien entre le corps et l’âme, des animistes qui font de l’âme la source et le principe non seulement des phénomènes intellectuels, mais encore des fonctions organiques, telles sont les questions que pose Auguste Laugel avec Tissot, Vohgt, Moleschott, Buchner, Schopenhauer, Fichte, Carus, Hirn, et il répond qu’en face des phénomènes de la volonté et de la liberté il sent le besoin de croire à autre chose qu’à la matière tangible, à des mouvemens atomiques, à des forces serviles. Les fatalités du monde physique, l’inaltérable impassibilité de ses modes ne contrastent-ils pas avec la lutte de la volonté, la liberté de la pensée, les agitations de la conscience et tous les sentimens qui constituent le drame humain et nés » peuvent naître que d’une substance spirituelle. La préoccupation du passé comme de l’avenir, la recherche du redoutable secret de notre sort, sont-ils le fait de la matière qui n’agit que dans le présent ? Qu’importe alors que les formes primordiales ne soient, selon Darwin, que trois ou quatre tout au plus, et que l’homme, dernier venu, se rattache, par une filiation naturelle, aux êtres antérieurs dont les caractères organiques sont les plus rapprochés des siens ? Qu’importe la