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bientôt à de très réputés savans. Mais M. de Chancourtois reprenait à bref délai sa chaire, et Auguste Laugel consacrait les loisirs que lui laissaient ses autres fonctions à écrire assidûment dans les grands périodiques des sciences physiques et naturelles et dans la Revue des Deux Mondes, où il débutait en 1855.

Son œuvre très vaste de cette époque y fut surtout une œuvre de critique scientifique et philosophique. Il est peu de problèmes de la nature, puis de la vie, que Laugel n’y discute : la paléontologie et les révolutions du globe avec Agassiz, l’origine des espèces avec Darwin, l’anthropologie avec Lyel et Huxley, la philosophie chimique avec Berthelot, la chimie physiologique avec Pasteur, l’esprit physique moderne avec Grove. Les problèmes de l’âme sont sa préoccupation constante et en lui le savant ne se sépare jamais du philosophe.

Sans doute l’actualité des questions traitées, la publication des volumes étudiés président à la chronologie de ses essais plutôt qu’à leur ordre méthodique. Mais il est aisé d’en dégager l’ensemble et les déductions de sa doctrine. La paléontologie et la zoologie, les seuls témoins que la stratigraphie ne peut récuser, montrent, selon Auguste Laugel, que les révolutions du globe n’ont été ni aussi totales ni aussi fondamentales qu’on le présumait autrefois. Chacune d’elles n’a point entraîné la destruction radicale et le renouvellement complet des êtres vivans. Cette continuité n’indiquerait-elle pas une loi générale dans le développement de cette multitude de toutes les classes et de toutes les familles ? Les formes organiques ne se seraient-elles pas modifiées de par une cause inhérente, attribut même de la vie ? Ne doit-on pas préférer à la théorie d’une création unique avec extinctions successives, ou à celle de créations multiples avec négation de tout progrès organique, la transformation des êtres due à l’œuvre lente soit des évolutions de la nature physique, soit de l’action même des forces vitales ? C’est cette force mystérieuse et inconnue que Darwin croit avoir trouvée dans la sélection naturelle. Les modifications du monde physique ont pour effet d’arrêter le processus de certains êtres et de favoriser au contraire celui d’autres variétés mieux adaptées aux circonstances actuelles. Nulle solution de la transformation des espèces ne semble plus séduisante ; mais si Darwin confirme le système de la création continue, le fil de la création n’en reste