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eaux complaisantes le savant entrelacs de leurs combinaisons tactiques ; des flottilles aussi, des flottilles bien réglées, bien ordonnées de contre-torpilleurs et jusqu’à des escadrilles de sous-marins qui, naviguant à la queue-leu-leu, asservissaient leur essentielle indépendance aux exigences d’un ordre majestueux [1], c’est cela qui plaisait, ce qui est naturel, et cela seul, ce qui est fâcheux ; c’est cela qui gonflait d’orgueil tous les cœurs et faisait passer dans les yeux des visions de triomphe. Qu’était-ce donc que la guerre maritime ? Une marche rapide à l’ennemi, une grande bataille, décidée en deux heures par le feu lointain, mais précis, de canons énormes... Et puis peut-être, à la fin, pour achever les vaincus, une charge de torpilleurs, voire de sous-marins, — à supposer que la lenteur de leur marche permît à ceux-ci d’intervenir.

Eh bien ! après cinq mois de guerre, où est-elle, cette grande bataille ? Et à sa place, que d’autres opérations auxquelles on ne pensait pas ! N’en disons pas plus. Aussi bien viendra-t-elle forcément, car, au-dessus d’un intérêt militaire évident, il y a l’aveugle, mais invincible pesée d’une opinion publique en pleine frénésie d’orgueil. La flotte allemande « sortira », comme est sortie, en 1866, la flotte italienne, parce que la nation la croit invincible. Et elle sera vaincue.

Oui, il y aura au moins encore une grande bataille navale. Mais qu’on ne s’imagine pas que le cuirassé géant y trouvera la consécration de ces facultés admirables que réduit à néant, d’un seul coup, l’explosion d’une mine automatique ou d’une torpille automobile. Dès maintenant, ne fût-ce que par cet étonnant combat du 18 décembre où l’on sent la main de l’habile et clairvoyant amiral Percy Scott, à qui l’Amirauté a pardonné d’avoir eu raison, la preuve est faite qu’on peut concevoir une guerre maritime, — appelons-la, si vous voulez, une guerre aéro-navale, — où les grandes unités n’aient à intervenir, loin des sous-marins, que dans les opérations du large, contre les communications de l’adversaire, et alors sous la forme particulière du croiseur cuirassé rapide, bien armé, bien défendu, largement pourvu de combustible, appuyé sur de solides bases secondaires.

Voilà l’événement essentiel de cette première et déjà longue

  1. Très intéressant « article, sur ce point, dans l’Excelsior du 25 décembre, par un écrivain maritime qui voit fort juste, d’ordinaire, M. Larisson.