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ment. Nous ignorions encore de quelle réserve s’entourait notre État-Major et qu’on n’était guère mieux renseigné à Paris.

De détails précis ou qui semblaient l’être, il ne nous en arriva guère qu’un seul, et je ne sais comment, car je ne l’ai rencontré sur aucun journal de Colombo. Je n’en dirais rien, s’il n’était bon de rappeler au sentiment de leur responsabilité ceux qui, dans des heures aussi graves, tiennent une plume de journaliste. Un article publié par un journal français et autorisé par la censure, dénonçait je ne sais quelle défaillance de je ne sais quel régiment, une misère qui, en admettant qu’elle fût vraie, n’atteignait pas plus l’héroïsme de nos troupes que les ordures qu’elle roule à Benarès ne corrompent l’eau du Gange. L’écho de cet article était venu jusqu’à Ceylan ; et un de nos compatriotes en fut insulté dans un hôtel de Kandy.

Les Anglais, eux, étaient admirables. Toute leur presse concourait à produire une unité d’impression qui non seulement imposât le respect à leur vaste empire hindou, mais encore qui l’associât à la gloire de leurs armes. Pas une feuille où ne parût en gros caractères un éloge du Loyalisme de l’Inde. Le rappel de leurs anciennes victoires ajoutait à leurs nouveaux succès l’éclat d’une fortune qui ne dépend point des jours. La cavalerie anglaise avait repris, contre Blücher cette fois, la manœuvre victorieuse de Waterloo. Les colonies de l’Angleterre, le Canada, l’Afrique, l’Australie, l’Inde, l’une après l’autre et toutes ensemble, se levaient pour la défendre, comme les quatre bras tendus dont le dieu Siva, qu’on voit au Musée de Colombo, protège, rassure, agite le tambour et brandit la flamme. Un télégramme d’Australie nous informait même que les Allemands, qui avaient le bonheur de vivre sous les lois anglaises, voulaient tous se faire Anglais et marcher avec leurs frères anglais. Citoyens de Melbourne, défiez-vous !

Je trouvai enfin chez notre Agent Consulaire des journaux français jusqu’au 10 août. J’y trouvai mieux encore. Il me lut une lettre de sa femme qu’il venait de recevoir. Elle était restée en Bretagne et lui écrivait sous le coup de la mobilisation et comme aux sons du tocsin. Cette voix de France, la première que j’entendais, partait d’un coin de terre qui m’était familier : elle disait les larmes silencieuses versées par les femmes, le départ des hommes et même des hommes de cinquante ans, l’enthousiasme grave, la France unanime, l’élan de tous ; et elle