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une nation qui considère que l’honneur est le plus précieux des trésors. »

A la veille de quitter Bordeaux, une scène militaire, à laquelle j’assistai, m’émut profondément. De la caserne Xaintrailles qui donne sur le boulevard Armand-Gautier, je vis un matin sortir un détachement du 144e de ligne qui se dirigeait vers la gare Saint-Jean pour aller rejoindre les vaillans camarades de l’Est et du Nord. De jeunes voix fraîches et mâles répétaient le couplet des enfans de la Marseillaise :


Nous entrerons dans la carrière
Quand nos ainés n’y seront plus...


Et mes yeux se fixant alors sur le nom célèbre de Xaintrailles qui brillait en lettres d’or sur la porte de la caserne, j’évoquai à la fois les souvenirs héroïques du XVe siècle et les souvenirs des temps modernes. Ma mémoire me rappela alors, dans une belle et soudaine alliance, les exploits splendides du noble gentilhomme gascon, Poton de Xaintrailles, compagnon de La Hire et de Jeanne d’Arc à Orléans, à Patay, à Reims, et en même temps les hauts faits de nos armées de Sambre-et-Meuse, des Alpes, du Nord et du Rhin commandées par Kléber, Marceau, Kellermann, Moreau, Hoche et Bonaparte. Mariant dans mon âme émue tous ces souvenirs grandioses, je me plaisais à penser que la belle et vaillante jeunesse des temps actuels, placée sous l’égide de Xaintrailles qui, conduit et inspiré par la Pucelle, avait délivré Montargis, repris Orléans, fait prisonnier le redoutable Talbot, assisté à la résurrection du royaume de France et au sacre de Charles VII, verrait, elle aussi, après de formidables jours d’épreuves, des jours heureux et glorieux. Cette conviction s’incarnait en mon esprit et, au moment où le train allait me ramener à Paris, j’entendais encore, avec une joie indicible, cette troupe de jeunes gens acclamée par la foule et couverte de fleurs, redire avec une ardeur confiante cette évocation suprême à la Liberté contre les barbares qui avaient insolemment prédit notre défaite :


Sous nos drapeaux que la Victoire
Accoure à tes mâles accens ;
Que tes ennemis expirans
Voient ton triomphe et notre gloire !


HENRI WELSCHINGER.