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nement afferme à des particuliers qui y logent les voyageurs sans aucun confort et aux mêmes prix que les bons hôtels. Mon pousse-pousse chinois suivit le pousse-pousse de l’unique Européen descendu avec moi ; et par des rues muettes, qui longeaient tantôt des murs de temple hindou, tantôt des maisons chinoises, il me conduisit au Resthouse du rivage, devant une baie découverte, une large échancrure de la côte. La maison hospitalière était fermée. Nous attendîmes le matin sous son entrée qui formait portique et où tramaient des fauteuils de paille. Mon compagnon, peut-être un Anglais, s’y coucha et s’endormit. Sauf une question que je lui avais posée à la gare, et à laquelle il n’avait répondu que du bout des lèvres, nous n’avions pas échangé une seule parole.

Rien ne secoue la torpeur des vieilles villes déchues que la chape trop lourde de leur passé engourdit à jamais. On y a pris, une fois pour toutes, des habitudes plus lentes, une curiosité moins vive. Les bruits du présent ne semblent y arriver qu’à travers une accumulation de souvenirs qui les amortissent. Et Malacca est une étrange vieille ville. Je n’y vois guère à paraître neufs que le Club Anglais avec son lawn tennis, quelques établissemens publics et l’éternelle Banque orgueilleuse qui remplace en face de la mer la forteresse d’autrefois. Les petites maisons européennes, au double perron, alignées devant une rangée d’arbres opulens, pourraient aussi bien avoir été habitées par les Portugais ou les Hollandais. L’église de la Mission française, qui compte à peine cinquante ans, et le temple méthodiste, plus jeune encore, ont un air aussi ancien que l’ancienne église portugaise qui moisit au milieu d’un bois de cocotiers.

L’inquiétude si manifeste des gens de Singapore n’était point parvenue jusqu’ici. On recevait bien des journaux, et même, sur les cinq heures du soir, des enfans couraient par la ville et vendaient les dernières nouvelles dans des enveloppes fermées. Mais personne ne se les disputait. Et, comme ces nouvelles ne disaient pas grand’chose, on ne disait rien. Les Chinois essuyaient leurs lunettes et les lisaient posément au fond de leurs boutiques. Sur cette terre qui ne leur avait jamais appartenu, et où ils étaient les hôtes des Anglais, et aussi leurs imitateurs, puisqu’ils y ont fondé un Chinese Lawn Tennis Club, ils s’associaient de bon cœur à la politique anglaise. Du reste l’Allemand était à Malacca un être à peu près inconnu. Le vieux