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ni à une plus grande capacité de consommation. Cela fit un tort sérieux à l’industrie indigène et amena le chômage de ses ouvriers. Au moment même où les millions français pleuvaient sur elle (1873), l’Allemagne fut en proie à une grave crise financière ; douze mois après le paiement de la dernière portion de l’indemnité, le taux de l’escompte était plus élevé à Berlin (4 à 6 pour 100) qu’à Paris où il se maintenait uniformément au taux de 3 pour 100, et l’argent circulait beaucoup plus abondamment en France qu’en Allemagne. De 1872 à 1877, les dépôts dans leg Caisses d’épargne allemandes diminuèrent de 20 pour 100. Dans l’hiver de 1876-1877, le nombre des ouvriers sans travail prit des proportions énormes ; il fallut établir des soupes communales et des ateliers d’Etat.

Notre régénération après la guerre s’opéra donc plus rapidement que celle de nos vainqueurs. La vie de Bismarck en fut assombrie. En présentant son projet de loi protectionniste de 1879, il déclara que « l’Allemagne saignait lentement à en mourir, » que, si la situation actuelle se prolongeait, elle se trouverait ruinée. « Nous voyons la France, disait-il (2 mai 1879), s’arranger de façon à supporter les difficultés de la situation commerciale mieux que nous-mêmes ; son budget a augmenté d’un milliard et demi depuis 1871 et cela en dehors même des emprunts ; nous voyons qu’elle a plus de ressources que l’Allemagne et qu’en un mot on se plaint moins là-bas de la dureté des temps. » Deux ans plus tard (29 novembre 1881), le chancelier revenait sur la même idée : « C’est vers 1877 que je fus frappé pour la première fois de la détresse générale et croissante de l’Allemagne, comparée à la France ; j’ai assisté à la diminution du bien-être général... »

Tout en faisant la part des exagérations du chancelier a la tribune du Reichstag lorsqu’il voulait emporter un vote, on doit reconnaître que, dix ans après 1870, les effets économiques de la victoire n’avaient rien d’encourageant ; elle avait plutôt retardé qu’accéléré le mouvement naturel d’extension industrielle et commerciale qui s’étendait à toute l’Europe dès avant 1870, à l’Allemagne comme aux autres pays, mais plus lentement ; parce que l’Allemagne, malgré ses prétentions un peu comiques à une « kultur » supérieure, était en retard sur la France, qu’elle copiait depuis le XVIIe siècle dans ses habits, ses meubles et ses usages.