Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre de ses habitans, celui de la Norvège est triple de celui de la Grande-Bretagne.

Les fonds d’Etat de ces nations faibles se cotaient en Bourse 20 ou 25 pour 100 plus haut que ceux de l’Empire allemand. Enfin, à voir la renaissance économique de l’Espagne, depuis seize ans qu’une guerre malheureuse lui enleva sa dernière colonie américaine ; à voir aussi depuis moins de dix ans l’ascension industrielle et agricole de l’Empire russe depuis la triste guerre de Mandchourie, on pourrait ériger en axiome, aussi absurde que son contraire, qu’une défaite militaire est toujours suivie d’avantages commerciaux ou financiers.

L’Angleterre renforçait sa marine, la France votait le service de trois ans, en dépit des pacifistes qui affirmaient bonnement que « les petits pays neutres n’ont pas à redouter l’invasion, parce que les traités constituent une force morale plus grande que n’importe quelle force matérielle ! » La France et l’Angleterre agissaient ainsi pour défendre leur puissance politique, leur indépendance même qu’elles sentaient menacée, et non pas avec l’idée qu’elles accroîtraient leur richesse et leurs profits. Elles se résignaient à un sacrifice nécessaire pour leur dignité nationale ; mais les meilleurs patriotes, de ce côté de la frontière, se fussent moqués d’un écrivain qui aurait osé imprimer qu’en doublant le budget de la guerre, on multipliait le bien-être des citoyens.

Comment se peut-il donc que ce qui, appliqué à la France, eût fait sourire, ait été longtemps admis par rapport à l’Allemagne ? Nous avions déjà entendu, dans les années qui ont suivi la guerre de 1870, un propos aussi bouffon sur les soi-disant causes de notre échec, lorsqu’on affirmait couramment que la victoire de l’Allemagne venait de sa supériorité sur le chapitre de l’instruction primaire : « C’est, disait-on, le maître d’école allemand qui a gagné la bataille de Sedan... » Durant plusieurs années, le propos circula avec l’allure dogmatique d’un article de foi, sans que personne fit observer que l’instruction primaire, et même secondaire, n’avait pas sur l’effectif des fusils à aiguilles et des canons à longue portée l’influence que l’on croyait, que le plus ou moins d’instruction n’avait rien à voir dans la levée en masse et la force offensive d’une nation, que, dans le passé, nombre de races instruites l’avaient, il est vrai, emporté sur des races ignorantes, mais que pareil nombre