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Kemal est fils du Khédive Ismaïl pacha, que les Anglais et nous avons eu peut-être le tort de déposséder autrefois. Ismaïl désirait rapprocher par quelques côtés les institutions de l’Egypte de celles de l’Europe et il avait obtenu du Sultan, en payant largement cette concession, le droit de changer l’ordre successoral du Khédiviat : il devait passer à son fils aîné au lieu d’être attribué à l’aîné de la famille. C’est grâce à cette disposition qu’Abbas Hilmi avait succédé à son père Tewfik, à la place d’Hussein Kemal, frère de celui-ci. On voit par cet exemple la vanité des combinaisons humaines : la fortune ramène au Khédiviat Hussein Kemal, qui en avait été écarté par un arrangement en bonne forme.

Nous disons Khédiviat, le mot n’est plus juste : Hussein Kemal devient sultan et non pas Khédive, afin de mieux marquer son affranchissement à l’égard de la Porte. Quelques journaux disent même que c’est lui qui sera le vrai Sultan, le chef religieux de tout l’Islam. A dire vrai, nous n’en croyons rien : il est même un peu puéril d’espérer que le monde islamique accepte jamais pour chef le protégé d’une grande nation européenne. Mais il semble bien que le Sultan de Constantinople, Mahomet V, ait beaucoup perdu de son autorité religieuse entre les mains des Jeunes Turcs, juifs de Salonique, libres-penseurs et athées où il est tombé. Si son autorité diminue et s’affaiblit encore, celle du Sultan de la Mecque grandira dans la même proportion, à moins que l’autorité réelle ne tombe tout à fait entre les mains des congrégations religieuses, déjà si puissantes. Ce sont là les choses de demain. Celles d’aujourd’hui peuvent se résumer en un mot : il a suffi que l’Allemagne prît sous sa protection le Sultan de Constantinople et le Khédive d’Egypte pour que le premier perdît tout son prestige et que le second fût déposé.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.