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génie, — d’un des leurs, Fakhr-ed-din II [1], le Grand Émir de la Montagne, dont le règne marque l’apogée de la puissance libanaise. Echappé par miracle à la vengeance des troupes ottomanes et caché par sa mère dans le district chrétien du Kesroan, il fut élevé par les soins de la famille maronite des Khazen. Energique, habile et ambitieux, Fakhr-ed-din est une des figures les plus curieuses et les plus attachantes de cette période. Il réussit, sans d’abord éveiller la défiance de la Sublime Porte, à agrandir ses domaines en étendant son autorité non seulement sur tous les Druses, mais également sur les Maronites. Ceux-ci, sentant le besoin d’un chef puissant, l’acceptèrent d’autant plus volontiers que l’Emir faisait preuve de la plus large tolérance religieuse et que, soit reconnaissance, soit calcul, il s’était entouré de conseillers chrétiens. C’était, outre son vieux précepteur Chéiban, les Cheiks des familles Khazen et Habeiche, les plus influentes à cette époque. Rêvant de fonder un grand Etat, il poursuivit le cours de ses conquêtes jusqu’au moment où, la Porte finissant par s’alarmer de sa puissance, il se réfugia à Florence auprès de ses alliés, les Médicis [2]. De retour en Syrie, il s’efforça d’introduire dans son Etat l’organisation qu’il avait admirée en Toscane. Sous son règne, le Liban trouva une prospérité et une tranquillité jusqu’alors inconnues, qui permirent aux lettres et aux arts d’y briller d’un certain éclat. Mais, grisé par ses succès, Fakhr-ed-din aspira à l’indépendance. Attaqué de toutes parts, abandonné par ses alliés, traqué dans la haute montagne, il se livra à ses vainqueurs : ils le firent décapiter à Constantinople. Sa puissance s’effondra ; mais il avait créé l’unité politique du Liban et scellé l’union des Maronites et des Druses. La tradition assure même qu’il se serait fait secrètement baptiser peu de temps avant sa mort.

Son neveu, puis ses fils, parvinrent, en usant de plus de prudence vis-à-vis de la Porte, à sauvegarder l’autonomie libanaise.

Peu après, la famille Ma’an s’étant éteinte, les seigneurs de la Montagne firent choix des Emirs Chéhab pour la remplacer à leur tête. Ceux-ci, d’origine musulmane, s’étaient installés dans

  1. Fakhr-ed-din II Ma’an régna sur le Liban de 1598 à 1635.
  2. Désireux de s’assurer l’appui d’alliances étrangères, Fakhr-ed-din II avait réussi à entamer avec les Médicis de fort curieuses négociations qui aboutirent à un traité d’alliance signé à Saïda.