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Très attaché à ses croyances, à ses traditions, à ses mœurs familiales, vivant replié sur lui-même, d’une vie concentrée et relativement dépourvue de grands événemens, ce petit peuple, peu accessible aux influences extérieures, n’évolua qu’avec une extrême lenteur. Il réussit longtemps à se conserver sans subir de modification appréciable. Aux environs de 1860, il s’était encore si peu laissé entamer par les siècles, qu’il paraissait en être resté au moyen âge en offrant encore l’image d’un parfait Etat religieux et féodal.


Grâce à cet ensemble de circonstances particulières, le Liban put poursuivre son existence propre, à l’écart des événemens qui bouleversèrent sans cesse les contrées voisines et dont le contre-coup n’arrivait jamais que très affaibli jusqu’à lui.

La Syrie fut en effet pendant plusieurs siècles transformée en un vaste champ clos. Centre de l’Empire arabe et du monde musulman sous les Oméyades, elle ne fut plus, sous les Abbassides, par suite du transfert de leur capitale de Damas à Bagdad, qu’une simple province livrée par son éloignement à toutes les intrigues et à toutes les agitations. Elle devint une proie que, dans une mêlée terrible et extraordinairement confuse, les Bédouins, les Empereurs byzantins reprenant l’offensive, les Turcs Seidjoucides et les Croisés disputèrent tour à tour aux Khalifes Fatimites du Caire. Sans cesse prise et reprise, la Syrie fut, pendant trois longs siècles, mise à feu et à sang. A travers des vicissitudes dont l’histoire offre peu d’exemples et qu’elle devait à sa situation de « carrefour des nations, » tantôt morcelée, tantôt réunie, elle changea plusieurs fois de maîtres, mais toujours ses conquérans éphémères s’y installaient en guerriers et non en colons.

En présence de ces luttes continuelles, les Maronites renforcèrent leur organisation militaire afin de maintenir leur autonomie relative. Et c’est ainsi que les grands propriétaires du Liban furent amenés à prendre de plus en plus le caractère de chefs qui combattaient à la tête de leurs paysans, devenus leurs soldats : l’aristocratie terrienne se transforma en l’aristocratie militaire des Emirs et des Cheiks. Cette évolution ne fut, en définitive, qu’une adaptation des mœurs féodales et patriarcales