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en droit des Omeyades, faisaient figure de petits souverains. Ils profitaient des moindres défaillances de leurs ennemis pour les harceler sans cesse, si bien que le Liban constituait une sorte de forteresse naturelle chrétienne dressée intacte au milieu de la conquête musulmane. Sans aller jusqu’à croire, comme le rapportent les annales indigènes, que les chrétiens du Liban « tombèrent sur les Musulmans avec la force et le bruit du tonnerre et qu’ils les écrasèrent dans la plaine [1], » il est cependant certain que ce noyau d’hommes résolus et protégés par un rempart de rochers parvint à ralentir la marche victorieuse des Arabes, dont l’armée, surtout composée de cavaliers, était peu habituée à la guerre de montagne. C’est ce que les anciennes chroniques aiment à rappeler, non sans emphase, en affirmant que la résistance des Maronites réussit à retarder la chute de Byzance.

Réfugiés, aux heures pénibles, dans la haute montagne et ayant fait de la région des Cèdres [2] et de Bécharré le centre de leur nation, ils purent continuer à jouir d’une certaine autonomie. S’ils furent, sous les Abbassides, contraints de payer l’impôt foncier et si le Liban fut alors englobé dans le district de Damas, les Maronites continuèrent cependant à vivre de leur vie propre et réussirent pleinement à sauvegarder leur existence nationale.

Sous la double direction de leurs prêtres et de leurs grands propriétaires fonciers, ils s’organisèrent fortement en un petit peuple féodal qui, à l’abri de ses montagnes, vécut pendant plusieurs siècles dans un quasi isolement. Très morcelée en un certain nombre de villages, leur communauté évolua d’une façon distincte du milieu qui l’entourait et dont elle se trouvait, en quelque sorte, séparée [3]. La constitution géographique du pays, aussi bien que les mœurs de ses habitans, ne se prêtaient nullement à la formation de grandes villes. C’était en effet le régime de la « recommandation, » du patronat, qui dominait, d’où résultait le groupement d’un certain nombre de paysans autour de leurs seigneurs relativement indépendans, chacun dans

  1. Les Maronites, par le R. P. Azar, p. 41.
  2. Les quelques cèdres qui subsistent encore, derniers vestiges des fameux arbres avec lesquels fut construit le temple de Salomon, se trouvent dans le nord du Liban, à une altitude de 1900 mètres.
  3. Voyez à ce sujet « La question du Liban » par M. Jouplain, docteur en droit Paris, 1908, Arthur Rousseau, éditeur, p. 42 et 43.