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LA BELGIQUE MARTYRE.

troupe est plus nombreuse, elle a ses outils et le genre de munitions qu’il faut. À Schafîen, chaque maison est enduite préalablement de pétrole et de naphte (ces liquides sont contenus dans des récipiens perfectionnés). À Tamines, ce sont des sortes de fusées que les soldats ont sur eux qui allument l’incendie. À Louvain, ce sont des bombes incendiaires qu’on jette dans les maisons pour mettre le feu ou l’activer. Ailleurs, ce sont les pastilles incendiaires (nitro-cellulose gélatinée) dont les dossiers de la Commission d’enquête contiennent une analyse chimique détaillée. Rien n’est laissé à l’improvisation ou à l’imagination. Quand l’ardeur du feu diminue, on voit les soldats, comme à Aerschot, « soulever de place en place quelques tuiles des toits pour favoriser le développement des flammes. » Quand l’ardeur des hommes se ralentit, on entend les officiers, comme à Sempst, se promener entre les maisons déjà embrasées en criant : Brent ! Brent ! Un de mes amis est témoin en Wallonnie de l’entrée de l’ennemi dans un village condamné : l’officier à cheval donne ses ordres devant chaque maison, d’après l’aspect de l’immeuble et sa grandeur : « Ici un homme ! Ici trois ! ici cinq ! » Par ce système rationnel, en une heure l’exécution est finie. On prend soin d’empêcher le sauvetage : à Louvain l’autorité allemande fait détruire, dès le début de l’incendie, les pompes et l’échelle Porta. On profite aussi du feu pour faire double besogne : à Liége, pendant que l’on brûle les maisons d’une rue, on tire sur les bourgeois qui sortent, à coups de fusils et de mitrailleuses : notable économie de temps. L’incendie est une partie de la guerre. À Averbode, le commandant allemand déclare à un témoin : « Nous ne venons pas ici pour faire la guerre, mais pour brûler le village ! » Il est des fois pourtant où l’armée combattante s’abstient de ce glorieux devoir : c’est quand les pionniers ne sont pas loin. Ils sont chargés des incendies impeccables, et leur outillage est plus complet encore. Devant eux, comme à Termonde, les autres soldats se retirent. À une femme de Termonde qui demandait qu’on sauvât son bien, un officier répondit, avant même que Sommerfeld eût parlé : « Je regrette. Madame, mais l’incendie n’est pas ma partie, c’est celle de ceux-là qui entrent. Devant eux, je dois partir. » Division du travail, dernier mot de l’industrie guerrière !

Le pillage est réglé comme l’incendie, avec froideur et méthode. On emporte pêle-mêle ce qui est précieux et ce qui ne