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LA BELGIQUE MARTYRE.

joints à la foule des habitans chassés de leurs maisons, ils peuvent voir la ville s’allumer. Sous leurs yeux, la première ruée des pillards se précipite sur l’église. Cinq fois ils tentent de mettre le feu aux portes, cinq fois ils échouent. Ils finissent, à grands coups, par les enfoncer. Ils brisent les autels, les confessionnaux, les orgues, fracturent les troncs, arrachent et brûlent les statues gothiques en bois qui ornent la nef, volent et profanent les vases sacrés. Puis ils enferment dans l’édifice les témoins horrifiés de leur furie. Ils ont désormais le champ libre. Pendant trois semaines, ils vont brûler, piller, entasser dans les fourgons et les wagons leur butin, se livrer dans les ruines à la plus dégoûtante orgie. Quand une maison est vidée, on l’incendie. Seules, celles où logent les officiers sont respectées, — et encore, il faut s’entendre sur ce mot. M. Pierre Orts, secrétaire de la Commission, nous donne des détails édifians : « J’ai pénétré, écrit-il, dans plusieurs maisons au hasard, dont j’ai parcouru les divers étages. Partout, le mobilier est bouleversé, éventré, souillé d’une façon ignoble. Les papiers de tenture pendent en lambeaux le long des murs, les portes des caves sont enfoncées, les armoires, les tiroirs, tous les réduits ont été crochetés et vidés. Le linge, les objets les plus disparates jonchent le sol, en même temps qu’un nombre incroyable de bouteilles vides. » Dans la maison du Dr  Z., qu’une inscription protectrice recommande à la bienveillance des pillards, et où des officiers ont été logés, voyez ce spectacle : « Dès le seuil, une odeur fade de vin répandu attirait l’attention sur des centaines de bouteilles vides ou brisées qui encombraient le vestibule, l’escalier et jusqu’à la cour. Dans les appartemens régnait un désordre inexprimable ; je marchais sur un lit de vêtemens déchirés, de flocons de laine, de matelas éventrés. Partout des meubles béans, et dans toutes les chambres, à côté du lit, encore des bouteilles vides. La salle à manger était encombrée de douzaines de verres qui couvraient la table et les guéridons qu’entouraient des fauteuils lacérés, tandis que, dans un coin, un piano au clavier maculé semblait avoir été défoncé à coups de botte. Tout indiquait que ces lieux avaient été, pendant bien des jours, le théâtre de beuveries et de débauches ignobles… D’après ce que m’a affirmé un maréchal des logis de gendarmerie qui s’occupait avec ses hommes de remettre un peu d’ordre dans tout ce chaos, il en est de même dans la plupart