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coupé leur queue. Mais, dès qu’on entend parler leurs jeunes gens et surtout ceux qui les connaissent et qui vivent avec eux, on s’aperçoit que leur esprit a changé et que la nouvelle Idole est entrée dans leur vie, l’Idole allemande. Son énormité n’était point pour déplaire à ces habitués de figures monstrueuses. La Science, telle que les Allemands la présentent, qui substitue partout le labeur collectif à l’initiative individuelle, qui, par l’importance exclusive dont elle revêt une érudition accessible à presque tous, établit dans le domaine des intelligences une sorte de suffrage universel et tend à supprimer la hiérarchie des connaissances humaines, cette Science qui, d’autre part, se matérialise sans cesse en applications pratiques, souvent hâtives, mais toujours profitables, et qui truque, altère, ment et enrichit, flattait les qualités et les défauts du Chinois, sa patience et son orgueil, son ingéniosité et son avarice. Il est curieux de constater que l’Allemagne impérialiste réussit plus particulièrement dans les pays que leur révolution semblerait devoir rapprocher de nous, comme la Jeune Turquie et la Chine soi-disant républicaine. Cette anomalie s’explique peut-être par leur affaiblissement qui les rend plus sensibles au prestige de sa force militaire et par leur état anarchique auquel sa discipline impose davantage. Mais je l’attribuerais aussi à l’utilitarisme orgueilleux et démocratique de sa culture, qui n’est le plus souvent qu’une culture de primaire parvenu. Encore dix ou vingt ans d’efforts, et les Allemands auraient à peu près germanisé tout ce qui est susceptible en Chine de recevoir une figure européenne. La grossièreté de leur propagande ne choquait point les Chinois qui croyaient d’autant mieux les fanfaronnades de la presse allemande que leurs propres journaux les ont accoutumés à accepter sans contrôle les inventions les plus « colossales ; » et ils s’accommodaient fort bien de la corruption qui est un des moyens préférés de la conquête germanique.

Cependant nous luttions. Il n’y avait même pas de place en Extrême-Orient où notre lutte fût mieux organisée et mieux dirigée. Nos collèges de Zi-ka-wei et de Saint-François-Xavier, notre École Municipale Franco-Chinoise, notre Musée d’histoire naturelle, notre Bibliothèque, nos Observatoires, notre imprimerie et nos ateliers de Tou-sé-wé, l’Université de l’Aurore, ces œuvres prospères, dont presque toutes sont l’œuvre des Jésuites, et dont la plupart ont déjà pour elles l’autorité du temps et la