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LA BELGIQUE MARTYRE.


IV


Les Allemands entrent dans un village. Le doigt sur la gâchette, le canon au creux du bras, ils regardent les maisons et saluent d’une fusillade les habitans qui se montrent à leur seuil ou à leur fenêtre. Leur chef descend à la maison communale, fait venir le bourgmestre, impose d’immédiates réquisitions. En même temps, les soldats se répandent dans les rues et les fermes, enfoncent les portes qui ne s’ouvrent pas assez vite, maltraitent les habitans, visitent les caves sans retard, se font servir à manger. D’autres conduisent à leur commandant les notables du lieu. Ceux-ci serviront d’otages. Si un coup de feu est tiré, si les vivres réquisitionnés ne sont pas livrés à temps, si l’impôt de guerre n’est pas versé, si l’armée belge reprend l’offensive de ce côté, ils périront. Parfois le curé, le notaire, le médecin, ne suffisent pas. On réunit alors, dans quelque enclos bien gardé, toute la population mâle. Soudain, au fond d’une ruelle écartée, on entend une détonation, ou tout simplement un Allemand qui crie que l’on a tiré. C’est le signal du pillage. Les officiers ont déjà, revolver au poing, dévalisé les caisses publiques, la succursale de la Banque Nationale s’il y en a : c’est maintenant aux soldats de travailler. Ils s’y emploient. Les magasins sont dévalisés, les plus pauvres chaumières visitées et démeublées. Le soir, feu de joie : on incendie, sinon tout le village, du moins quelques maisons !

Les pauvres gens se taisent, terrorisés. Auraient-ils envie de défendre leur bien ou leur femme au prix de leur vie, ils ne le peuvent pas, sachant que d’autres, gardés à vue à la maison communale, paieraient pour eux. Le calcul souvent porte à faux, car le sort des otages ne dépend pas d’un acte réel, mais de l’arbitraire. Une fois entre les mains des Allemands, ils peuvent tout bas se remettre entre les mains de Dieu.

Parfois on les emmène. On les joint à des milliers de prisonniers civils qui sont déportés sans raison. Ils n’ont pas le temps de dire adieu. Ils vont connaître le train à bestiaux, les longues heures et les longs jours de marche, la faim, la soif, le froid. Ils vont atteindre les camps lointains où, lâchement, on a parqué la foule des innocens sous la garde de nouveaux bourreaux. Ou bien, poussés au mur, on les fusillera. On leur fera