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manœuvré au milieu des pièges tendus par une opposition souvent implacable, il était cruel pour lui de se voir, comme en 1810-1871, dans l’obligation de choisir entre les aspirations de son peuple et ses sentimens personnels. La mort est venue à temps le délivrer.

On a publié son testament, qui est imprégné d’une vraie élévation morale. « Entouré, y dit-il, et secondé par les chefs du pays, pour lesquels j’ai toujours nourri une profonde gratitude et une vive affection, j’ai réussi à élever aux bouches du Danube et sur la mer Noire un État doté d’une bonne armée et de tous les moyens nécessaires pour pouvoir conserver sa belle position et réaliser un jour ses hautes aspirations. Mon successeur au trône reçoit en don un héritage dont il sera fier et qu’il dirigera, j’en ai l’espoir, dans mon esprit, guidé par la devise : « Tout « pour le pays, rien pour moi. » Qu’entendait le roi Carol par les « hautes aspirations » du pays, qui doivent être réalisées ? D’après une dépêche reproduite par tous les journaux, ses dernières paroles, prononcées devant M. Bratiano et les autres personnes réunies autour de son chevet, ont été : « Je tiens particulièrement à ce que vous sachiez que je ne suis pas l’adversaire de la réalisation de notre idéal national. »

Il n’a pas pu, il n’a pas voulu le réaliser lui-même ; ses origines, ses attaches l’empêchaient de le faire ; il en a laissé le soin à son successeur, auquel il a adressé, dans son testament, l’appel que nous venons de reproduire. Elevé en Roumanie, le roi Ferdinand ne trouvera pas en lui-même les entraves dont son oncle n’a pas su se dégager. Carol a été le premier roi de Roumanie : il sera, lui, le premier roi roumain.


Baron JEHAN DE WITTE.