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Que la nouvelle attitude de l’Italie ait une importance de premier ordre aux yeux de l’Allemagne comme aux nôtres, on ne saurait en douter lorsqu’on voit le prince de Bülow remplacer M. de Flotow à l’ambassade impériale à Rome. Le prince de Bülow est certainement l’homme politique et le diplomate le plus distingué de l’Empire. On sait à quelles circonstances il a dû une disgrâce, qui semblait bien devoir durer aussi longtemps que l’empereur Guillaume, et il a fallu que celui-ci remportât une grande victoire sur son amour-propre pour recourir à l’assistance d’un homme qu’il avait traité en ami et qui l’avait abandonné, qui s’était même tourné contre lui dans une passe difficile de sa vie. Mais la force des événemens a été la plus grande, et l’Empereur a mis l’intérêt de l’Allemagne au-dessus de ses griefs personnels. En sera-t-il récompensé ? Les journaux italiens en doutent. Ils voient même dans le choix trop affiché de M. de Bülow une sorte d’entreprise contre leur liberté. Ils s’apprêtent à la défendre. A moins qu’il n’apporte à l’Italie Trente et Trieste, M. de Bülow aura de la peine à réussir dans sa mission ; or il n’y a aucune apparence qu’il soit en mesure de donner à l’Italie d’aussi merveilleuses étrennes. Et même s’il les lui donnait, l’Italie a trop d’expérience politique et de finesse d’esprit pour ne pas savoir que ces cadeaux deviendraient précaires entre ses mains, le jour où l’Allemagne et l’Autriche victorieuses ne seraient plus liées que par le respect de leurs engagemens. Mais n’insistons pas sur des choses si improbables qu’elles semblent renouvelées des contes de fées, et attendons les événemens.

Le monde cependant évolue sans les attendre. Une seule chose reste immuable : la volonté des trois alliés de poursuivre la guerre jusqu’au bout, de lui faire rendre tout ce qu’elle doit rendre et de ne conclure la paix qu’en commun. Cette volonté, M. le Président de la République vient de l’affirmer une fois, ou plutôt deux fois encore, la première en remettant la médaille militaire au général Joffre, la seconde en recevant les lettres de créance du nouvel ambassadeur des États-Unis, et c’est le pivot de la politique européenne. M. Poincaré a eu raison d’en affirmer la fixité, car c’est autour de lui que se forment déjà les groupemens nouveaux.


FRANCIS CHARMES. Le Directeur-Gérant, FRANCIS CHARMES.