Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

davantage, on lui a laissé sa pleine liberté d’action, et la Chambre lui a voté un ordre du jour de confiance à la majorité de 413 voix contre 49. Ces 49 voix se composent de 43 socialistes, qui sont des pacifistes intransigeans, d’un socialiste syndicaliste et de 5 républicains. C’est une belle victoire pour le gouvernement : il lui reste à réaliser les espérances qu’il a fait naître, et dont la seule évocation lui a donné une si grande force.

Le tableau ne serait pas complet sans l’incident qui a mis fin au débat. M. Giolitti est monté à la tribune ; on savait bien qu’il accorderait toute sa confiance à un gouvernement qui s’était formé sous ses auspices, mais on ne s’attendait pas à la révélation qu’il allait faire. « Au cours de la guerre balkanique, a-t-il dit, le 3 août 1913, le marquis di San Giuliano m’a adressé le télégramme suivant : — L’Autriche nous fait connaître, ainsi qu’à l’Allemagne, son intention d’agir contre la Serbie et elle déclare qu’une telle action de sa part ne peut être considérée que comme défensive. Elle espère faire jouer le casus fœderis de la Triple Alliance, que je juge inacceptable en la circonstance. Je cherche à combiner nos efforts avec ceux de l’Allemagne en vue d’empêcher une telle action de la part de l’Autriche, mais il serait nécessaire de dire clairement que nous ne considérons pas cette action éventuelle comme défensive. Nous ne croyons donc pas qu’il existe de casus fœderis. » Les journaux disent que la stupéfaction, puis l’émotion produites par cette lecture ont été profondes, et il ne pouvait en être autrement. Jamais coup droit plus cruel n’avait été porté contre l’Autriche, qui, en vérité, joue de malheur dans toutes ces affaires. Que devient le prétexte si théâtralement donné à la guerre actuelle, à savoir le meurtre de l’archiduc François-Ferdinand et de la comtesse de Hohenberg ? Un an auparavant, l’Autriche a voulu faire la guerre à la Serbie ; l’archiduc vivait encore ; l’Autriche avait donc d’autres raisons. Si la guerre n’a pas éclaté dès cet>te époque, c’est parce que l’Italie, qui avait été mise dans la confidence, a refusé de marcher : on comprend dès lors pourquoi ses alliés ne lui ont rien dit cette fois et l’ont tenue à l’écart de leur projet. Elle n’a pas été consultée, elle était donc libre. Quant à l’Autriche, depuis un an et sans doute depuis plus longtemps encore, la guerre était résolue dans son esprit. Il est possible que l’Allemagne l’ait retenue, l’année dernière ; il est certain qu’elle l’a poussée celle-ci. Elle a été sa complice et même, en fin de compte, son instigatrice implacable ; elle ne lui a plus permis de reculer. C’est ce dont les neutres sont désormais convaincus : la lumière est faite, on ne l’obscurcira plus.