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où elle est montée, l’Allemagne professe que l’intérêt de tous les autres doit s’effacer devant le sien. M. de Bethmann-Hollweg résume cette pensée en disant qu’on ne saurait toucher dans le monde à un seul cheveu sur la tête d’un seul Allemand sans que le châtiment suive aussitôt. Nous prenons cette pauvre rhétorique pour ce qu’elle vaut. Mais la France, la Russie, l’Angleterre, sans parler d’autres nations, qui n’ont pas encore dit leur dernier mot et qui le diront bientôt, estiment à leur tour que leurs intérêts historiques, consacrés par une longue et glorieuse tradition, et dont le maintien assure à leur avenir des garanties nécessaires, ont autant de prix, sinon plus, qu’un cheveu sur une tête allemande. C’est une idée qui ne sortira plus de leur esprit et dont il faudra, désormais, que l’Allemagne s’accommode.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le chancelier ; nous aurions voulu, par exemple, parler après lui de ce qu’il appelle avec nous la revanche ; mais il y a d’autres discours qui, en ce moment, ont plus d’importance que le sien et qui mériteraient d’occuper ici plus de place. La rentrée du parlement italien était attendue avec plus d’intérêt que celle du Reichstag allemand : on se demandait avec une curiosité bien naturelle, une curiosité sérieuse, quel langage tiendrait M. Salandra après le remaniement de son Cabinet. Il avait bien fallu remplacer le marquis di San Giuliano que la mort avait fauché ; mais le remplacement du ministre de la Guerre et celui du ministre du Trésor avaient une signification qu’on ne pouvait méconnaître, puisqu’il devait en résulter un effort immédiat en vue de développer la force militaire du royaume. Enfin la situation générale de l’Europe s’était sensiblement modifiée depuis ces dernières semaines, tout le monde sentait que d’autres modifications se préparaient encore, et l’Italie ne pouvait pas y rester indifférente. L’Italie est une nation à la fois très ancienne et très jeune, qui a de vieilles aspirations en partie réalisées, en partie restées encore en souffrance, et qui est douée d’un sens politique trop fin, trop souple, en même temps que d’une volonté trop ferme, pour ne pas suivre les événemens d’un œil attentif, avec la résolution de choisir le meilleur moment d’en profiter. Dès le début de la guerre, elle s’est demandé ce qu’elle devait faire et, ayant reconnu qu’elle avait le droit de rester neutre, elle a effectivement proclamé sa neutralité. Les traités ne l’obligeaient à marcher avec ses alliés que s’ils avaient été attaqués ; or ils étaient indubitablement les agresseurs ; de plus, ils avaient rendu toute sa liberté à l’Italie en négligeant de la tenir au