Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sachant les nommer autrement, les « idées. » Que si maintenant, de l’ordre intellectuel, on passe à l’ordre sentimental, ou, si vous préférez, éthique, ou moral, il se peut que Beethoven, et Beethoven tout entier, son caractère et son œuvre, nous apparaisse encore plus grand. Pour le définir alors, un seul mot suffit, mais il n’y en a pas d’autre, et c’est le mot : héroïque. En ses pages admirables, et par nous souvent rappelées, sur la musique, à propos du héros-poète, si Carlyle n’a pas nommé Beethoven, c’est à Beethoven qu’il fait penser, on croirait que c’est de Beethoven qu’il parle : « Qu’une âme de héros, écrit-il, soit envoyée par la nature, en aucun âge il n’est impossible qu’elle puisse prendre forme de poète. » Le jour où Dieu (plutôt que la nature) « envoya » l’âme héroïque de Beethoven, elle prit forme de musicien. Et cette âme, comme cet esprit, en un mot ce génie, composé de l’une et de l’autre, n’eut peut-être jamais d’égal en vaillance, en noblesse, en générosité. Il est de ceux dont nous pouvons, — c’est nous Français que je veux dire, — tout admirer, tout honorer, tout recevoir. De lui, rien ne nous est contraire, ou seulement étranger, et ne saurait nous être funeste. Il diffère en cela d’un Wagner, dont le maléfice, envers nous toujours, a peut-être surpassé le bienfait. Sublime, et, si l’on veut, « colossal, » il ne le fut jamais à la façon dont les Allemands entendent le mot, et la chose, aujourd’hui. Ce n’est pas tout : à ses œuvres, à ses chefs-d’œuvre, il a donné pour base et pour sommet, au lieu de la haine, l’amour. Jeune encore, le Beethoven de la Symphonie Héroïque souhaita la gloire de ses frères. Plus tard, près d’achever sa carrière et sa vie, c’est la joie, fille du ciel, qu’appela sur eux le Beethoven de la neuvième symphonie. Enfin, — rappelez-vous l’Agnus Dei de la Messe solennelle, — enfin ce fut la paix.

Avions-nous tort, au début de ces pages, et l’Allemagne, qui ne méritait pas un pareil fils, était-elle seulement digne d’un tel hôte ! En tout, dans les moindres choses comme dans les plus grandes, Beethoven était loyal et fidèle. Il ne détestait rien autant que le mensonge. Un jour, il mit sa gouvernante à la porte parce qu’elle avait menti : « Qui ment, dit-il, n’a pas le cœur pur et ne peut faire proprement la soupe. » Ni la soupe, ni le reste. Je vous le répète, cet homme n’était pas Allemand.


CAMILLE BELLAIGUE. -