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GIBOULÉES


Sous un mouvant amas de vapeurs assombries
Tout à l’heure, au grand vent, le soleil anxieux,
Comme un navire en feu sous des flots en furies,
Semblait prêt à s’éteindre et plonger dans les cieux.

Les peupliers blafards, pliant sous les rafales,
Entre-choquaient en l’air leurs rameaux saccagés ;
Les gros pommiers, peureux pour leurs fleurs matinales,
Courbaient leur tête blanche aux pentes des vergers.

De longs gémissemens secouaient la futaie
Dont la cime houleuse engouffre tous les coups.
Sur les prés sans abri que l’averse balaie
Bêtes et gens fuyaient en hâte, à demi fous.

Et parmi la forêt les grêles flagellées,
Craquant, comme des dards, aux croupes des rochers,
Harcelaient, dans leur fuite à travers les allées,
Les vieux feuillages morts au grand chêne arrachés.

On eût dit que la Terre, encor mal réveillée
D’un lourd sommeil stérile aux bras froids des Hivers,
Se lamentait de s’être imprudemment fiée
À l’amour d’un Printemps si fantasque et pervers !…

…Mais les vents ont tourné… Soudain l’échafaudage
Des nuages massifs qui barraient l’horizon,
S’est plus vite écroulé qu’au premier bruit d’orage
Ne s’éparpille un tas de foin sur le gazon.

Le ciel rouvre, plus bleu, ses voûtes éclaircies,
Au soleil souriant dont les feux reposés,
Étincellent au loin dans les flaques de pluies,
Comme aux morceaux épars de grands miroirs brisés.