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différentes de celles dont nous avons ou l’ennui ou le chagrin, l’offre de l’utopie. Combien s’amuse Joubert à concevoir changées toutes les conditions de la vie ! Le voyage en mer, imaginé, le ravit : un chemin qu’on fait en cherchant ses repères dans le ciel ! La contemplation des astres le ravit : pour les astres et pour la mer, il invente des phrases, j’allais dire, infinies, mobiles et où il y a de l’ineffable. Ses mots bougent ; ses mois prennent une qualité de mystère. Il peint des merveilles étranges ; et il donne, à son style, une jolie étrangeté. Otahiti, des voluptés singulières, une musique à laquelle trois notes suffisent pour qu’elle soit touchante et triste, des danses qui ont une langueur exquise, un art précieux du bonheur et, sans lois, la perfection de l’innocence, un peuple bon grâce à la seule vertu de la nature : que de motifs charmans pour la pensée !

Pendant plusieurs années, l’Académie de Marseille ne décerna point le prix de douze cents livres qu’elle avait préposé. Elle recevait des mémoires et ne les jugeait pas dignes de sa récompense. Nous avons vu, en 1786, le marquis de Pennes gémir et inviter ses collègues à gémir avec lui de ce qu’on ne découvrît pas le valable panégyriste de Cook. Peut-être (mais je n’en sais rien) l’obligeant chevalier de Langeac disait-il à ses collègues : — Attendez ; mon vertueux ami monsieur Joubert travaille…

Il ne travaillait pas vite ; et, attentif aux délices de sa pensée plus qu’à nulle ambition, il n’en finissait pas. Les derniers feuillets relatifs à Cook et datés sont de l’année 1788. Je crois qu’alors il renonça définitivement à parfaire son Éloge : d’autres projets l’avaient requis. Et, le 25 août 1789, le prix d’éloquence fut décerné à M. Pierre-Edouard Lémontey, citoyen de Lyon. Celui-ci avait beaucoup plus d’assiduité que Joubert, plus de ténacité. L’Académie de Marseille conserve dans ses archives trois mémoires de ce Lyonnais opiniâtre, touchant le grand navigateur. Sans doute, n’ayant pas eu de succès d’abord, Pierre-Edouard Lémontey recommença-t-il bravement. Quatre ans plus tôt, il avait eu le prix, pour un éloge de Peiresc : et il y a, dans les papiers de Joubert, des notes qui ont trait à ce même Peiresc ; de sorte que Joubert songea peut-être à concourir aussi pour l’éloge du très savant numismate. Lémontey publia son éloge de Cook trois ans après avoir reçu sa couronne, en