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imprudent, l’abbé Pailhès, auteur d’un gros volume intitulé Du nouveau sur Joubert, et qui prête à Joubert trop de « nouveau, » a tourné presque à l’odieux le personnage de ce bon Langeac : cet opulent seigneur, prenant le jeune Joubert à sa solde, aurait abusivement profité de son secrétaire ; et Joubert serait l’auteur des ouvrages que Langeac a signés ou bien se laissait attribuer. Si nous avons été sensibles aux dialectiques de l’abbé Pailhès, nous serons tentés de croire que, cet éloge du navigateur, Joubert l’écrivait pour le chevalier de Langeac : et le chevalier de Langeac aurait eu le prix, car il était curieux des lauriers académiques. Mais cette hypothèse malveillante, — et que l’abbé Pailhès, ignorant l’éloge écrit par Joubert, n’en connaissant ou n’en devinant que des bribes, n’a pas eu l’occasion de formuler expressément, — cette hypothèse ne tient pas. Membre ou, du moins, « associé régnicole » de ladite Académie, le chevalier de Langeac ne pouvait pas être admis au concours. Je me figure qu’il engagea le jeune Joubert à concourir et l’y excita, lui représentant l’affaire comme assez avantageuse ; un peu de gloire et douze cents livres. Douze cents livres ; et Joubert n’était pas riche. On doit imaginer qu’il apprécia l’éventualité de l’aubaine. Mais on le jugerait mal, si l’on croyait qu’il va tout aussitôt se mettre à l’ouvrage et, sans désemparer, perpétrer cette besogne lucrative. Non ! il n’avait pas tant de hâte ; à l’égard même de la plus légitime cupidité, il préservait les droits et prérogatives de sa studieuse nonchalance. L’éloge de Cook, promesse d’un bénéfice, lui fut un prétexte à lire et à rêver.

Le 22 septembre 1798, il écrit à Pauline de Beaumont : « Je suis pourtant bien aise qu’avant de le quitter (le château de Theil), vous y lisiez Cook. Ses voyages ont fait dix ans les délices de ma pensée. Je connaissais Olahiti beaucoup mieux que mon Périgord. Je me souviens encore de Tupia, de Teinamaï, de Towa, de Toubouraï Tamaïdé, etc. Lisez bien le second voyage et ne lisez pas le premier, si vous n’avez pas commencé par-là. Cet Hawkerstorf a tout gâté et me dégoûte pour la vie des manieurs de relations… » Et il allait continuer, le souvenir d’Olahiti l’amusant. Mais il rature le premier mot d’une nouvelle phrase : « J’efface, car il faut finir. Bonsoir. » Joubert songe aux « délices de sa pensée » beaucoup plus qu’aux douze cents livres de l’Académie marseillaise.

Mais il a travaillé très sérieusement. Il s’est bien documenté.