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partout. Dans la salle de l’hôtel du Vert-Galant, où je déjeune à la table même qu’occupa von Kluck, le 4 septembre, les gravures, qui ornent les murs et représentent les épisodes de l’épopée impériale, sont absolument intactes. Intact également le château qu’éleva Louvois, seigneur de Montmirail. Bien qu’inhabité et un peu abandonné, les Allemands ne le saccagèrent pas, et l’on y installe en ce moment une maison de convalescence pour nos blessés. Le parc est merveilleux dans sa parure automnale, et je m’attarderais volontiers sur la terrasse qui s’avance ainsi qu’un promontoire au-dessus de la vallée du Petit-Morin. Mais l’heure n’est pas aux molles rêveries, quand il y a, dans l’air, comme des appels de clairon…

Montmirail, Vauchamp, Champaubert : étapes illustres qui jalonnent ma route. Sur place, je me rends compte des batailles de 1814 et de la conception géniale qui permit à Napoléon de vaincre, malgré l’écrasante supériorité numérique de l’ennemi. Sur la longue armée de Blücher, qui tenait la voie de Châlons à La Ferté sous-Jouarre, il fond à l’improviste et la coupe en deux a Champaubert ; il en chasse devant lui la première moitié qu’il écrase à Montmirail ; puis, sans perdre haleine, il revient contre l’autre qu’il culbute à Vauchamp. Le 10 février, Champaubert ; le 11, Montmirail ; le 14, Vauchamp… Les victoires se succédaient comme on effeuille un calendrier. A Champaubert, où fut aussi respectée la colonne commémorative gardée par de vieux canons, le bois dont les Français surgirent à l’improviste, pareils à des fantômes, porta longtemps le nom de Bois Enchanté ; et l’on y montre encore le Champ des Cosaques dont plusieurs milliers jonchèrent le terrain. Cent ans après, ces mêmes bois et ces mêmes champs furent témoins de la déroute des ennemis battant en retraite devant nos soldats.

Mais, pour se rendre compte d’où partit notre offensive, il faut descendre plus au sud, jusqu’à la route d’Eslernay à Sézanne. Esternay, sur le Grand-Morin, est le point extrême de l’avance allemande. C’est, en effet, de la forêt de la Traconne que débouchèrent les forces françaises, lorsque le général Joffre donna le signal de la marche en avant, dans un ordre du jour qui restera célèbre à l’égal des plus beaux. La bataille commença autour du village. Les Allemands avaient creusé hâtivement des abris individuels tout le long de la grande route