ce solitaire, dédaigné d’abord de ses compatriotes, sont devenues le mot d’ordre de toute une nation. Le mirage d’avenir, qu’il a fait briller devant l’imagination allemande, l’Allemagne entière s’évertue à le réaliser.
Si nous pouvions conserver le moindre doute sur sa pensée
fondamentale, sur l’importance de premier ordre qu’il attribue
à la guerre, — la guerre réelle, à coups de canon, et non à
coups de plume ou de bouquins, — il nous suffirait de relire ce
passage empreint d’une cordiale sincérité : « C’est, dit-il, une
vaine idée d’utopistes et de belles âmes que d’espérer beaucoup
encore (ou même beaucoup seulement alors) de l’humanité,
lorsqu’elle aura désappris de faire la guerre. En attendant, nous
ne connaissons pas d’autre moyen qui puisse rendre aux
peuples fatigués cette rude énergie du champ de bataille, cette
profonde haine impersonnelle, ce sang-froid dans le meurtre uni à
une bonne conscience, cette commune ardeur organisatrice
dans l’anéantissement de l’ennemi, cette fière indifférence aux
grandes pertes, à sa propre vie, et à celle des gens qu’on aime,
cet ébranlement sourd des âmes, comparable aux tremblemens
de terre. Sans doute, on inventera, sous diverses formes, des
substituts de la guerre, mais peut-être feront-ils voir de plus en
plus qu’une humanité d’une culture aussi élevée et, par là même,
aussi fatiguée que l’est aujourd’hui l’Europe, a besoin non
seulement des guerres, mais des plus terribles,
— partant de retours momentanés à la barbarie, — pour ne pas dépenser en
moyens de civilisation sa civilisation et son existence même. » —
Qu’on regarde de près chacune de ces phrases ; non seulement
on y reconnaîtra la pure doctrine de l’Allemagne intellectuelle
d’aujourd’hui, mais on en verra sortir quelques-uns des
faits-divers dont s’alimentent, depuis quatre mois, nos journaux.
C’est de la divination. Inclinons-nous devant Nietzsche. S’il n’a
pas été un entraîneur pour la jeunesse de son pays, il a été un
voyant d’une lucidité extraordinaire.
* *
Voilà donc la guerre décrétée l’éducatrice du genre humain ? Si elle n’est plus, aux yeux de Nietzsche, d’institution divine, elle est scientifiquement nécessaire à l’humanité.
Guerre contre qui ?... Mais, d’une façon générale, envers et