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4 octobre.

Reçu hier et ce matin vingt-trois blessés des batailles du Nord : les plus favorisés atteints depuis deux jours seulement, un ou deux même depuis la veille ; les autres depuis trois, quatre et cinq jours avec des pansemens sommaires.

On sent, à les entendre, que la guerre devient de plus en plus rude :

« Nous sommes dans des tranchées ; les Allemands aussi. J’y ai passé trois jours sans bouger ; dès qu’on se soulève, c’est la mitraille. — Mais comment se nourrit-on ? — Il y a des cuisiniers à distance. Quand c’est possible, ils viennent à plat ventre, et nous jettent, de loin, des morceaux de pain et de viande ; après quoi, ils se sauvent, s’ils ne sont pas tués. »

« Et vous ? — Moi, j’étais là depuis le 24 septembre. — En quel endroit ? — Je ne sais pas au juste : du côté d’Amiens ou d’Arras. On nous y avait menés en automobile. Chacun fait son trou le plus vite possible. Quand le génie peut avancer, il creuse des tranchées, mais l’ennemi les repère plus facilement. Les meilleures sont celles que font leurs boulets : deux mètres de diamètre et un mètre de profondeur. Ils nous mitraillent même là-dedans, mais sans grand succès ; s’ils n’avaient pas leurs canons à longue portée, ça irait bien. Notre artillerie fait des ravages dans leurs tranchées, mais pas d’aussi loin. Je crois que, si nous essayons de les tourner, c’est pour les prendre en enfilade ; quand on les tient dans le sens de la longueur, on en tue tellement, qu’ils arrivent à ne plus tomber. Nous étions restés là cinq jours, les coudes contre les genoux ; regardez, j’en porte la marque. Un soir la canonnade a eu l’air de se calmer. J’ai été envoyé en reconnaissance. Dès que nous sommes dehors, ça recommence. Un obus m’attrape le bras. Les quatre qui étaient avec moi sont tombés. »

Sans doute parce qu’ils se sentent perdus, les Allemands deviennent de plus en plus féroces. Je laisse la parole à un sergent parisien :

« Je ne voulais pas croire à ce qu’on disait d’eux. Pour moi, c’étaient des exagérations de journalistes. Eh bien ! non, c’est vrai, ou plutôt c’est au-dessous de la vérité. Ils détruisent absolument tout. Les villages où ils passent, ils y mettent le feu avant de les quitter Tenez, voilà un camarade qui a sauvé