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tentation très grande et constituait un bénéfice à recueillir sans beaucoup de frais[1].

Ne pouvait-on arriver au même résultat par des moyens moins brutaux ? N’aurait-on pu donner à la population quelques jours pour évacuer les lieux, en lui promettant même au besoin de l’indemniser ? Cette méthode eût risqué de compromettre entièrement le programme. La Grèce, l’Europe seraient intervenues et d’interminables négociations eussent fait échec au projet. Il fallait mettre les Grandes Puissances en face du fait accompli.

L’opération a pleinement réussi. Est-elle terminée ou n’en sommes-nous encore qu’à la première étape du programme ? Encouragée par l’attitude de l’Europe, la Turquie ira-t-elle jusqu’au bout du projet qu’elle a conçu ? Quand j’ai quitté Smyrne, la plus grande inquiétude y régnait. Au sud, dans la vallée du Kaïstre, le boycottage s’aggravait ; les populations commençaient à subir des violences ; dans la grande vallée du Méandre, l’aggravation du boycottage était également sensible. Sur la côte de Karamanie et de Mentéché, en face de Rhodes, le mouvement se préparait : déjà des enveloppes cachetées avaient été remises, suivant la procédure habituelle. Il paraissait probable que le mouvement devait s’étendre. On ne pouvait prévoir où il s’arrêterait. Les populations étaient encore très disciplinées et exécutaient froidement les ordres qu’elles avaient reçus. Mais, dans la guerre sainte qui avait été déchaînée, nul ne pouvait entrevoir si le gouvernement lui-même pourrait en arrêter les effets aux limites qu’il s’était assignées. Si ces inquiétudes se réalisent, la grave question de la protection de ses nationaux se posera alors devant l’Europe[2]. Le mouvement n’a pas seulement un caractère anti-grec : les industriels, les chefs d’entreprise, les corps consulaires de Smyrne peuvent témoigner de toutes les difficultés, de toutes les vexations, contre lesquelles ils ont à défendre leurs intérêts. Des événemens nouveaux se sont d’ailleurs produits : à défaut de renseignemens précis, on ne peut qu’en pressentir le caractère. La Turquie a déclaré la

  1. Ces lignes ayant été écrites en juillet dernier, on comprendra que je n’aie pas soulevé la question de l’instigation allemande. On en parlait dans les milieux bien informés de Smyrne.
  2. On a vu depuis combien ce mouvement s’est étendu, bien avant l’ouverture des hostilités entre les. Turcs et les Alliés, et combien ces craintes, que j’avais exposées à notre Ministère des Affaires étrangères, étaient justifiées.