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mission française est partie. On peut dire maintenant avec S. A. le grand vizir, que « l’ordre règne d’une façon absolue, » qu’il n’y a plus rien à craindre pour les vies, ni les biens. Comme l’a écrit mon camarade Manciet, « ce n’est pas une vainc parole. L’ordre règne de lui-même : il n’y a plus personne ; les biens n’ont plus rien à craindre : ils sont tous en de bonnes mains, celles des pillards. »

Je n’ai plus maintenant, pour achever l’histoire des derniers jours de Phocée, que deux faits à relater : la visite de la commission des drogmans, le 28 juin, et, aussitôt après, le 30, l’installation des émigrés de Macédoine.

J’ai eu l’honneur d’accompagner la commission à l’ancienne et à la nouvelle Phocée et de faire devant elle une déposition complète de tous les événemens dont j’ai été le témoin. Elle m’avait prié de la guider dans les rues, et toute la journée du 28 a été consacrée au voyage et à l’enquête.

Nous avons trouvé, dans les deux villes, le témoignage d’une mise en scène, minutieusement, mais assez naïvement opérée. Des peintures avaient été refaites sur les murs, pour effacer les traces de balles ; un grand nombre de portes avaient été réparées, pour faire disparaître les brèches pratiquées par les haches et les crosses ; le sang avait été lavé presque partout ; l’intérieur des églises était tel qu’il était impossible de se rendre compte qu’elles avaient été saccagées ; seule, une toile cirée de café, maladroitement tendue sur l’autel, prouvait qu’on avait voulu en dissimuler la nudité. Les traces d’inhumation de cadavres, dont l’odeur était encore persistante dans le quartier de l’église de Haghia Triada, neuf jours auparavant, avaient disparu ; le dimanche précédent, les os de l’avant-bras et de la main d’un cadavre sortaient encore, avec des lambeaux de chair aux trois quarts dévorés par les chiens, d’un grand tas de chaux vive destinée à la construction de la nouvelle école grecque ; ils avaient également disparu. Ce n’est pas tout : au cours de la visite, le délégué du gouvernement ottoman qui nous accompagnait, Chukri Bey, inspecteur politique, je crois devoir en témoigner, cherchait à tromper les délégués des Grandes Puissances. Devant le plus grand magasin de la ville, j’avais soulevé la tôle ondulée qui masquait l’intérieur, pour montrer à ces messieurs l’état dans lequel il avait été laissé. Chukri Bey s’avance et leur dit : « M. Sartiaux choisit un bien mauvais