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nous sentons qu’elle évolue à notre avantage. Mais la victoire qui est au bout, de quel prix il faut la payer !

Nous n’avons plus d’Allemands ici. Ils se trouveront mieux d’être soignés ensemble ; et nous devons, nous, rester ouverts aux blessés anglais. J’ai vu plusieurs fois avant leur départ, qui n’a pas tardé, les deux dont j’ai signalé l’entrée. C’étaient des réservistes d’Anbalt. Ils se montraient si fermés, si impénétrables, et mon allemand est si imparfait, que les visites sont restées, malgré moi, on ne peut plus banales : une poignée de mains, des nouvelles de leurs blessures, des souhaits de guérison. Ils paraissaient d’une nature bien fruste ; et peut-être qu’en ne disant rien, ils se livraient tout entiers. Il en est venu un plus jeune, du Sleswig, a-t-il dit, fort distingué celui-là, et parlant bien anglais ; mais pas plus que la grosse nature de ses compagnons, je n’aimais ses manières, à lui, où semblaient s’unir, en un mélange peu attirant, l’excès de politesse et un secret dédain.


2 octobre.

Plusieurs de nos blessés, — une vingtaine, — ont déjà quitté l’Ambulance. Parmi eux, trois officiers, dont un proposé pour la croix de la Légion d’honneur : « C’est toujours comme cela que j’avais rêvé de la recevoir, » nous dit-il, rayonnant.

Avant leur départ, nous restituons à nos chers hôtes ce qu’ils ont apporté. Généralement, c’est peu, même chez ceux qui avaient conservé leur sac : des vestiges d’équipement, un képi de forme invraisemblable, une capote en guenilles, un pantalon déchiqueté par l’éclat d’obus ; tout cela désinfecté, mais laissé en l’état. C’est à l’Intendance d’y pourvoir. Sous cette misère, du reste, nos amis partent revêtus, au civil, de linge immaculé et de lainages confortables. Chandail, ceinture et chemise de flanelle, bonnet de nuit, chaussettes, caleçon, à la fois chauds et légers, voilà qui leur permettra de se rappeler l’ambulance, d’autant mieux qu’ils en tiennent le double en un petit paquet bien serré. Si respectables, si glorieuses même, qu’elles puissent être, leurs loques militaires forment avec ce bien-être un contraste pittoresque, et l’on ne peut s’empêcher de sourire, lorsqu’on voit ces braves gueux prendre place dans le plus élégant des automobiles.