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exerce sur eux des violences. Je me précipite en hâte avec mon aide, nous nous interposons et empêchons qu’ils ne soient massacrés ; mais on refuse de nous les rendre. Nous exigeons alors avec énergie que la bande nous suive au kanak, avec ses deux prisonniers. Nous les remettons entre les mains du chef de la gendarmerie et nous restons en faction jusqu’à l’arrivée du caïmacam, afin de prévenir de nouvelles brutalités. Le caïmacam, d’après la déclaration de Talaat Bey, était encore en fonction jusqu’à l’arrivée de son successeur, que nous attendons. Nous lui faisons donc notre réclamation : il nous donne raison. Intervient alors le mufti, Saïm Effendi, et, après quelques paroles échangées avec le caïmacam, celui-ci nous fait connaître qu’à son grand regret il ne peut exécuter la promesse qu’il nous a faite et que nos deux hommes doivent rester prisonniers. Devant une telle atteinte à la protection qui est due à notre personnel, habitant notre maison et couvert par notre pavillon, notre situation devient de jour en jour plus critique ; on ne tardera pas à s’attaquer à nos personnes. Nous avons risqué assez déjà, nous ne pouvons compromettre davantage notre sécurité, sans profit pour personne cette fois. Nous décidons en conséquence de quitter immédiatement Phocée et nous télégraphions à Smyrne qu’on nous envoie un vapeur.

Une fois la dépêche lancée, devant cette décision, l’attitude des autorités se modifie subitement : le mufti, qui paraît avoir assumé en fait le commandement à Phocée, nous déclare qu’il nous rendra l’un des prisonniers, que l’autre restera en otage, à la condition que tous deux quittent la ville le soir avec nous sur notre vapeur. Le caïmacam nous donne sa parole d’honneur que le prisonnier ne subira aucun mauvais traitement. Nous l’abandonnons à regret entre ses mains, sachant la foi qu’il faut ajouter aux promesses des autorités.

En réalité, nous le voyons maintenant, il avait été décidé qu’on nous ferait partir. Il reste, en effet, des besognes qui doivent être faites hors de nos regards : les notables, les fonctionnaires doivent se partager les plus belles maisons grecques (trente d’entre elles ont été occupées par eux quelques jours plus tard). La ville doit être, en outre, remise en état pour la visite des drogmans. On verra plus loin comment cette mise en scène a été pratiquée pendant notre, absence.

Il ne reste plus un seul Grec sujet ottoman à Phocée, la