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quand même, il prend formation de combat ; aussitôt l’artillerie allemande l’inonde de schrapnels. Il tomba des premiers, en avant de sa troupe. C’est l’habitude de nos officiers ; à la fin, nous n’en aurons plus. Il faudrait imposer des règles à leur héroïsme.

Officiers et soldats, tous, étendus dans notre salle d’attente, saluent de leur bon regard la présence de l’aumônier. Ils se sont confessés juste avant de se battre. C’est la France d’autrefois, aussi chrétienne que brave. Un sous-lieutenant séminariste, promu sur le champ de bataille, est blessé à l’épaule, au mollet, à la hanche. Il est content comme cela. « Tout ce que je demandais à Dieu, me confie-t-il, était de ne pas perdre les doigts de la main droite, afin de pouvoir être prêtre. »

Dès six heures et demie, allant dire ma messe, je vois arriver le père et la mère de l’ami blessé. Jamais je n’oublierai le regard dont ils m’interrogent. Quel bonheur de pouvoir leur crier tout de suite que ce n’est pas dangereux !

Je n’en dirais pas autant de tous, hélas ! Dans la chambre des gangrenés qui ne laissent guère d’espoir, je visite de bonne heure deux nouveaux venus. Comme les deux autres qui s’y trouvent déjà, ils se croient mieux, ils souffrent moins, ils ne se plaignent que de ne pas pouvoir remuer leur pauvre jambe. Ils sont bien tranquilles. Mon ministère, grâce à Dieu, peut s’exercer sans que je les inquiète. L’un d’eux s’est confessé avant la bataille ; l’autre, au moment de partir. Je leur propose simplement, et ils acceptent avec joie, de communier demain. ! Le troisième consent à suivre leur exemple. Quant au quatrième, pauvre Marocain, je ne peux que lui serrer la main, le regarder tendrement, et prier pour lui. Il est, comme tous ses compatriotes, admirable de courage. Nous avons là de fameux soldats et d’un dévouement ! Comment nos officiers ont-ils déjà pu leur faire tant aimer la France ?


30 septembre.

La vie, même ici, commence à prendre un courant. Des arrivées de blessés, les adieux touchans de quelques guéris, la visite quotidienne aux salles parmi les douleurs étouffées et les bons sourires, quelques décès, les enterremens loin de la famille… Sur tout cela, les nouvelles de la guerre, uniformes, elles aussi, dans leur terrible brièveté : La bataille continue. Et sans doute