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nous serons obligés de nous tenir à la seule qui aujourd’hui soit vraisemblable. Il y avait en Allemagne un parti de la guerre. Il se composait surtout d’irresponsables, appartenant à toutes les classes sociales. Professeurs, journalistes, hommes politiques, grands seigneurs, hauts fonctionnaires civils et militaires se plaignaient, depuis 1905, que la politique extérieure de l’Allemagne fût devenue trop faible. La solution de la question du Maroc avait mécontenté beaucoup d’entre eux. Des sociétés de toute espèce travaillaient avec énergie, depuis dix ans, l’opinion publique. La propagande pangermaniste avait infecté tous les milieux : la Cour, le parlement, l’administration, les universités, la banque. Le Livre jaune nous donne sur cet état de choses des documens précieux : ce sont les rapports vraiment lumineux de M. Jules Cambon, des attachés militaire et naval à Berlin, qui précèdent les documens diplomatiques. Tout cela avait créé une situation intérieure à laquelle le gouvernement n’a pas pu résister indéfiniment. Nous saurons certainement un jour par quelles intrigues on l’a amené à ordonner à son ambassadeur en Russie de faire, le 29 juillet, la démarche fatale qui a provoqué la guerre. Il n’est pas improbable que nous verrons, ce jour-là, les responsables réduits à jouer le rôle d’exécuteurs de la volonté des irresponsables. Il est même possible que le gouvernement allemand ait cru réussir par la seule intimidation, comme il l’avait fait en 1909. Dans ce cas, il s’est trompé. Malheureusement, jamais erreur de calcul, chez des hommes d’Etat, n’aura eu de plus terribles conséquences ! C’est ce qui explique pourquoi le problème des responsabilités passionne tellement l’Europe et l’Amérique. De ce problème dépendent probablement les destinées et l’avenir d’un régime politique qu’on avait cru, jusqu’à ces derniers mois, fondé sur des assises granitiques.


GUGLIELMO FERRERO.