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Eux sont attirés vers les églises, surtout celles qui gardent de l’histoire dans leurs murs, quelque mort illustre dans sa tombe, évoquent par le souvenir d’un homme le spectacle d’une époque et offrent aux humbles précurseurs de nos poètes l’occasion d’apprendre et de rêver, de connaître et d’embellir. Oiseaux qui attendent l’heure du chant, ils nichent dans les clochers, et déjà autour des sanctuaires bruit un vol de légendes. Là ces ouvriers des mots, ces assembleurs d’idées, ces échos de la sensibilité générale, se trouvent atteints par le mouvement de marche et d’opinion qui emporte la France et entraînés eux-mêmes dans la dévotion mouvante. Chacun d’eux emporte l’habitude d’honorer le saint ou le héros dont il est l’hôte ordinaire et l’admirateur informé. Ces panégyristes détachés des divers sanctuaires forment un groupe assez nombreux pour garder à ces gloires locales, même loin de leur siège habituel, une gloire collective, et par cet hommage les morts eux-mêmes semblèrent ressuscites, debout, unis aux voyages et aux passions mêmes des pèlerins. Et cessassions, décernant à ces héros et à ces saints, l’hommage suprême, les rétablissent dans la gloire trop différée d’avoir été pour Charlemagne des compagnons de guerre aux infidèles. L’ignorance de cette foule la défendait contre tout scrupule de vérité historique. Ceux qui savaient davantage, plongés dans cette foule, sentaient frémir en eux sa fièvre, trop poètes pour ne pas préférer la beauté à l’exactitude. Tous les obstacles que les faits et les dates opposaient à la collaboration de ces personnages fondirent dans cette chaleur. Elle assembla en une seule compagnie ceux qu’elle entendait honorer d’un seul amour et d’un seul culte. L’enthousiasme général aspirait à une société sublime. Si l’on ne la trouvait pas dans l’histoire, il la fallait édifier par le rêve. Les chemineaux de l’inspiration mirent en poésies ces rêves et ce furent les chansons de geste. Elles sortirent des cerveaux qui les avaient conçues, appelées par la multitude qui les reconnaît aussitôt, les fait siennes, les élève à la dignité de littérature nationale. Que sont-elles ? Les épopées de légende. Les personnages, même ceux qui appartiennent à l’histoire, n’ont dans ces « chansons » que des aventures imaginaires. Mais les événemens supposés s’accomplissent sur des théâtres vrais. Toute action se déroule dans les lieux familiers à la piété des foules, les divers poèmes parcourent les cycles des divers