Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’épuisaient pas leur ardeur par cette fidélité à la gloire solitaire du protecteur proche. Ils allaient de l’un à l’autre, pour s’édifier davantage et se ménager plus d’amis près de Dieu. Aussi les cinquante morts sur la mémoire desquels veillaient autant d’églises devinrent familiers, en France, à la pensée des foules. A celles-ci ces voyages de France ne suffisent pas, elles s’ébranlent souvent vers les sanctuaires illustres dans toute la chrétienté, Jérusalem sacrée par le sacrifice du Christ, Rome par le siège de saint Pierre, Compostelle par la mission de saint Jacques, Aix-la-Chapelle par le sépulcre de Charlemagne. Et il ne faut pas croire que ces foules en marche se hâtent de porter à chacune de ces illustres cités le fardeau d’une dévotion unique. Pour parvenir de France aux sanctuaires majeurs, il y avait des routes consacrées, et elles touchaient, s’inclinant au besoin, les sanctuaires gardiens de leurs renommées locales. On aimait à respirer au passage toutes les fleurs de sainteté qui parfumaient la terre de France. Ces jardins mystiques étaient en assez grand nombre pour que, de France en Italie, en Espagne, en Allemagne, à Rome, ils jalonnassent plusieurs routes. Entre elles, les pèlerins choisissaient et d’ordinaire ne prenaient pas au retour lia même qu’à l’aller. Les églises où se conservait le culte d’un patron modeste comme elles, au lieu d’être oubliées par la ferveur qu’attiraient les sièges plus célèbres, durent à cette ferveur un concours imprévu. Les sanctuaires locaux furent comme les stations dans un chemin de croix. Les protecteurs visités tour à tour se succédaient, comme dans les litanies les noms des saints, pour soutenir une même prière, et la procession des pèlerins qui s’avançait portant les reliques de tous ces souvenirs, déposait à la fin de la route, sur un dernier autel, l’offrande accumulée et indivisible de ses multiples piétés.

Ce lien commun entre les dévotions locales prit une force extraordinaire au moment des Croisades. Elles restaurent, après les égoïstes et stériles guerres de princes pour la domination, puis pour le partage de l’Occident, la seule lutte que la conscience des peuples ratifie, la lutte pour l’unité de civilisation par l’unité de foi. Et comme des peuples le plus chrétien et le plus chevaleresque était le nôtre, l’avènement des papes français et l’élan de la France décident, pour libérer le tombeau du Christ et la vie chrétienne de l’Orient, le plus long, le plus