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ont amenés à Neuilly. La route est un peu longue. Une fois ici, on a été bien, ah ! oui. C’est le paradis. Maintenant l’on est sauvé.

« Mais les choses qu’on a vues ! Le plus triste, c’est la nuit. On entend des cris : « Au secours ! » Il y en a qui appellent leur mère. Personne ne répond. »


22 septembre.

11 heures 30. — Funérailles, ce matin, d’un capitaine anglais. Une compagnie de la Garde républicaine a rendu les honneurs militaires. Sa femme, partie aussitôt prévenue, est arrivée une heure trop tard.

Un zouave est mort tout à l’heure.

Et la bataille où ils furent frappés l’autre semaine n’est pas encore finie. Dieu soit loué de ce qu’elle tourne peu à peu à notre avantage !

6 heures. — Vraie après-midi d’ambulance : des mourans, des cas graves, des guérisons avancées.

A une heure, en sortant de table, je suis appelé dans une chambre au second, où trois Anglais, dont un catholique, meurent du tétanos. L’implacable maladie ! Si les secours avaient pu être moins tardifs !

Après, je visite les grandes salles d’en bas. Il y a là nombre de cas sérieux, mais un seul malade en danger prochain et il dort. J’en vois d’autres, un Écossais notamment, qui est catholique et si heureux de parler au prêtre. J’en étais fort touché moi-même. L’émotion, à peine je l’avais quitté, s’effaça dans un mouvement de rire, chose plutôt rare par le temps qui court. Comme je venais de parler anglais, j’aborde en la même langue le malade suivant : « Any better ? Un peu mieux ? — Ah ! oui, pouvez le dire, que c’est embêtant ! » me répond une belle voix de Marseille. En quatre lits de blessés, on passe d’Irlande en Afrique, des lacs d’Ecosse à la Cannebière.

Ma tournée s’achève par une petite salle où je trouve des Français, une douzaine peut-être, presque tous assis ou couchés sur leur lit, en confortables pyjamas. Deux me crient, dès l’arrivée, qu’ils viendront à la messe demain. Je m’asseois sur la table du milieu, et la conversation devient générale. Tous, à bâtons rompus, content leurs souvenirs. Il eût fallu un phonographe, ou du moins que je pusse écrire, mais cela aurait